Dans le contexte du boom des start-ups au Luxembourg, Michel Rzonzef, président du Luxembourg Business Angel Network, et Phillipe Linster, CEO de la House of Startups, soulignent les défis cruciaux que représente l’attraction des talents et des investissements. Ils proposent un avantage fiscal comme solution indispensable, en mettant en lumière sa faisabilité politique dans l’écosystème en pleine croissance du pays.
Alors que le Luxembourg a gagné sa réputation de paradis fiscal pour les entreprises et les particuliers fortunés, il n’a pas encore donné suite aux plaidoyers visant à créer de meilleures incitations fiscales destinées à attirer les talents et les investissements clés.
La récente analyse de Startup Genome sur l’écosystème luxembourgeois des start-ups confirme ces résultats, suggérant que le Luxembourg se trouve actuellement au milieu de sa « phase d’activation », la première des quatre étapes. Pour que l’écosystème puisse passer aux étapes suivantes de mondialisation, d’attraction et d’intégration, certaines lacunes identifiées doivent être comblées.
Dans son Manifeste 2023, la Luxembourg Startups Association a plaidé pour le développement de l’écosystème local en offrant de meilleures incitations fiscales aux investisseurs, soulignant qu’il s’agit d’un obstacle critique à la poursuite de la croissance.
« La capacité à rémunérer les investisseurs étant limitée au cours des premières années, un abattement fiscal sur les investissements constitue une incitation efficace », indique le manifeste.
Profitant de la réforme de la loi de 1967 sur l’impôt sur le revenu pour stimuler l’investissement dans l’entrepreneuriat durable et numérique, l’association est l’un des nombreux acteurs qui demandent que le plafond d’investissement de la déduction fiscale, actuellement de 5 000 euros, soit relevé de manière significative.
« Si un projet n’est pas financé, il ne deviendra jamais une entreprise, ce qui affectera notre croissance économique, et nous pouvons soutenir la croissance par des incitations fiscales. »
La nécessité d’un avantage fiscal
Le projet « Luxembourg Startup Nation » existe depuis une dizaine d’années et bien que des progrès significatifs aient été réalisés avec près de 600 start-ups au Luxembourg, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour soutenir sa croissance.
« Si nous voulons que l’écosystème des start-ups devienne l’économie de demain, nous devons attirer plus de talents et d’investisseurs, et un moyen d’y parvenir est d’offrir davantage d’incitations fiscales », a déclaré Michel Rzonzef, président du Luxembourg Business Angel Network (LBAN). Les pays voisins tels que l’Allemagne, la Belgique et la France ont déjà mis en place un système efficace des avantages fiscaux qui accroît leur attrait pour les employés et les investisseurs.
« En s’inspirant du modèle réussi de la Belgique, le Luxembourg pourrait introduire un tax shelter offrant des incitations substantielles aux investisseurs qui soutiennent les start-ups. Le tax shelter belge permet aux contribuables privés de déduire de leur revenu imposable 25 à 45 % de leur investissement (jusqu’à 100 000 euros pour un investisseur individuel) dans des scale-ups, des PME ou des micro-entreprises », détaille Philippe Linster, CEO de la House of Startups.
L’attraction des investissements à travers les frontières voisines du Luxembourg est fortement saturée par la Belgique et la France, qui sont les principales nations membres de l’UE. Selon l’étude EY Luxembourg Attractiveness Survey 2023, le Luxembourg est en tête en termes d’investissements directs par habitant en 2022 pour la deuxième année consécutive, mais ce chiffre n’est pas encore effectif.
La France a attiré le plus grand nombre de projets d’investissements directs étrangers avec 2259 projets, suivie par le Royaume-Uni avec 929 projets, et l’Allemagne en troisième position avec 832 projets, en 2022. Le Luxembourg arrive en 23e position avec 37 investissements directs étrangers (IDE) pour 2022. « La France a changé la donne en autorisant des incitations fiscales allant jusqu’à 500 000 euros, ce qui la rend très compétitive et explique pourquoi elle a attiré des investisseurs dans plusieurs secteurs », déclare le président du LBAN, Michel Rzonzef.
La France et la Belgique réussissent
Au cours des deux dernières années, la France a mis en œuvre des réductions significatives de l’impôt sur l’environnement des sociétés afin de stimuler l’investissement et de faciliter la reprise économique. Initialement fixé à 33 %, l’impôt sur les sociétés n’a cessé de diminuer depuis la loi de finances 2018, pour atteindre 25 % en 2022. En outre, en 2021, le gouvernement a encore réduit le taux d’imposition à 26,5 % pour la plupart des entreprises et à 27,5 % pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros, ce qui rapproche la France de la moyenne européenne de 25 %.
Le gouvernement belge encourage les investisseurs à investir dans les start-ups, avec en retour une déduction fiscale comprise entre 25 et 40 %. Comme l’indique la Belgique, « investissez 1000 euros dans une start-up prometteuse et bénéficiez d’une réduction d’impôt pouvant aller jusqu’à 450 euros sur votre déclaration ». Grâce à des plateformes de collecte de fonds en ligne telles que Spreds, qui permettent aux investisseurs privés de bénéficier de cet avantage fiscal, moyennant un investissement minimum de 100 euros, les PME en profitent, de même que les investisseurs. La Belgique a même étendu ses avantages en matière de tax shelter à l’industrie du jeu.
Les acteurs clés du secteur des start-ups au Luxembourg estiment que le cadre fiscal actuel peut être amélioré. « Nous sommes convaincus qu’il existe des moyens simples et efficaces d’améliorer rapidement les cadres juridiques et fiscaux actuels afin de stimuler une croissance favorable aux start-ups », souligne Philippe Linster. Pour se rapprocher de la création d’un avantage fiscal, il est essentiel d’identifier les domaines susceptibles de faire l’objet d’une modification de la réglementation.
« Il y a bon espoir que le nouveau gouvernement donne la priorité à l’établissement d’un tax shelter, en accord avec son programme pro-entreprise. »
Répondre aux préoccupations et garantir l’équité
Les critiques affirment que les avantages fiscaux peuvent entraîner une perte de revenus pour les gouvernements et exacerber les inégalités de revenus, voire l’embourgeoisement. « Il ne s’agit pas de prendre de l’argent à l’État, mais de motiver les personnes qui ne sont pas investies dans ces catégories d’actifs et d’attirer leur attention sur le potentiel qu’elles représentent », déclare le président du LBAN. S’il est impératif de répondre à ces préoccupations, il est tout aussi vital d’évaluer les implications plus larges des avantages fiscaux et des incitations qu’ils créent.
« Si un projet n’est pas financé, il ne deviendra jamais une entreprise, ce qui affectera notre croissance économique, et nous pouvons soutenir la croissance par des incitations fiscales », argumente Michel Rzonzef. En outre, des mesures peuvent être mises en place pour garantir l’accessibilité des incitations fiscales à un large éventail de start-ups et à leurs employés, atténuant ainsi le risque d’exacerber l’inégalité des revenus.
« Une combinaison des plans d’actionnariat collectif dits ESOP (Employee Stock Ownership Plans) et d’incitations fiscales ne stimule pas seulement l’activité économique, mais améliore également la qualité des start-ups en attirant des personnes qualifiées qui apportent leur expertise et leur expérience », précise le CEO de la House of Startups, Philippe Linster.
Il est essentiel de reconnaître la nature complémentaire des avantages fiscaux et des incitations tels que les ESOP pour renforcer l’écosystème des start-ups. « Compte tenu de ces facteurs, il y a bon espoir que le nouveau gouvernement donne la priorité à l’établissement d’un tax shelter, en accord avec son programme pro-entreprise et en renforçant la position du Luxembourg en tant que centre de développement pour les start-ups en Europe », argue Philippe Linster.
Faire prospérer l’écosystème
« Nous avons près de 600 start-ups au Luxembourg, LBAN investit, mais nous ne pouvons pas investir dans toutes, il s’agit vraiment de savoir si nos décideurs veulent ou non que cet écosystème prospère », avance Michel Rzonzef.
En mettant en synergie les incitations, le Luxembourg peut propulser son écosystème de start-ups vers de nouveaux sommets, en encourageant l’innovation, la création d’emplois et une croissance économique durable. « Les avantages fiscaux fournissent un soutien financier essentiel en encourageant l’investissement dans les start-ups, injectant des capitaux indispensables dans l’écosystème », poursuit Philippe Linster. L’objectif principal devrait être de trouver un équilibre entre la promotion de l’investissement et la répartition équitable des avantages, afin de maximiser l’impact positif des niches fiscales à la fois sur l’écosystème des start-ups et sur la société dans son ensemble.
Cette combinaison d’incitations ne stimule pas seulement l’activité économique, mais élève également le niveau des start-ups en attirant des personnes qualifiées qui apportent leur expertise et leur expérience. « Les avantages fiscaux et les plans d’actionnariat collectif (ESOP), pour les start-ups, peuvent servir de catalyseurs pour la création d’emplois, l’innovation et la diversification économique, contribuant en fin de compte à la croissance des revenus à long terme pour les gouvernements grâce à l’augmentation de l’activité économique et de la productivité », conclut le CEO de la House of Startups.