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Xavier Buck : L’instinct informatique

De l’enregistrement des noms de domaine à la cybersécurité, Xavier Buck à la conquête d’Internet.

D’une passion – l’informatique – et d’un penchant naturel – l’esprit d’entreprise -, Xavier Buck a créé, avec Namespace, qui chapeaute EuroDNS et EBRAND, un groupe devenu un des acteurs majeurs de l’enregistrement des noms de domaine sur Internet en Europe. Et qui s’étend en parallèle rapidement dans le domaine de la cybersécurité.

« J’ai toujours suivi mon intuition et cela m’a bien aidé », constate Xavier Buck, plus de vingt ans après la création de sa première entreprise. Car selon lui, « il faut savoir prendre rapidement des décisions importantes, au feeling. » Une méthode qui a manifestement réussi à l’entrepreneur : avec Namespace, société mère, entre autres, d’EuroDNS et d’EBRAND, l’entrepreneur est à la tête d’un des acteurs majeurs en Europe dans le secteur de l’enregistrement des noms de domaine sur Internet et d’un groupe qui, avec Datacenter Luxembourg, cumule plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 300 employés.

Pour en arriver là, Xavier Buck a cumulé très tôt une passion – l’informatique – et un penchant naturel vers l’entrepreneuriat. Né en 1970 à Luxembourg-ville, il vit une enfance entourée des premières générations de consoles de jeu et d’ordinateurs, entre Atari Pong et autres Commodore 64. « On a vraiment fait toute la série des premiers PC », se souvient-il. A 12 ans, il crée avec son frère un club informatique, le « High Society Computer Club », qui comptera jusqu’à 1.500 membres. Un espace essentiel pour échanger sur l’informatique tout en apprenant à programmer pour modifier les jeux vidéo. Les premiers modems BBS (Bulletin Board System), ancêtre d’Internet, permettent aussi de se connecter à des groupes en ligne et de communiquer avec d’autres férus d’ordinateur. « J’étais tellement passionné, tout le temps à faire de l’informatique », se remémore Xavier Buck.

« Quand je suis arrivé à l’ULB, je suis tombé des nues : ils avaient trois ans de retard par rapport à ce qui se passait dans le monde réel! »

Le choix de s’inscrire à la filière informatique de l’Université se fait ainsi tout naturellement. L’expérience se révèle toutefois une véritable déconvenue. « Quand je suis arrivé à l’ULB (Université Libre de Bruxelles), je suis tombé des nues : ils avaient trois ans de retard par rapport à ce qui se passait dans le monde réel! », se souvient Xavier Buck. Dans les classes dédiées à la programmation, l’étudiant corrige les séquences algorithmiques « trois fois trop longues » de son professeur, avant de finalement quitter la filière, déçu, pour s’inscrire en économie.

C’est en 1996, à 26 ans, qu’il fonde sa première entreprise, Multisoft, dont l’objet est d’assister les entreprises qui veulent constituer leur propre réseau. Mais l’activité stagne et, un an plus tard, il la clôture pour rejoindre en tant que salarié la société luxembourgeoise Téléphonie (désormais Telkea Group). Celle-ci s’est aussi fixée pour mission de mettre en place des réseaux informatiques pour les sociétés à travers la création de sa nouvelle filiale, Netline. « J’ai beaucoup appris, c’était une grande société, bien structurée, avec des grands comptes luxembourgeois », commente Xavier Buck.

A l’issue de cette expérience, qui durera trois ans, Xavier Buck retourne à son penchant pour l’entreprenariat et fonde en 2000, avec quelques associés, Datacenter Luxembourg, une société active en tant que fournisseur de services internet. Avec une idée bien précise en tête : tirer avantage de la fiscalité avantageuse du Luxembourg. « Les sociétés d’e-commerce qui venaient en Europe pouvaient facturer dans toute l’Europe avec le taux de TVA de l’endroit où étaient localisés leurs serveurs ou leurs structures », explique Xavier Buck. « Or, au Luxembourg, le taux de TVA était de 15%, le moins élevé d’Europe. Donc nous voulions jouer cette carte pour attirer des sociétés américaines ou asiatiques qui vendaient des services d’e-commerce, que ce soit des livres électroniques, des musiques électroniques, tout ce qui était non-physique. »

En attirant des entreprises étrangères au Grand-Duché, Xavier Buck prépare sans le savoir ce qui deviendra le cœur de son activité. De fait, une fois sur le marché européen, ces sociétés sont tenues d’enregistrer leurs noms de domaine dans les différents pays européens et, pour ce faire, réclament de l’assistance. « En tant que bon commercial, je disais évidemment oui avant de me rendre compte de la complexité de la tâche », se rappelle Xavier Buck. « Chaque pays avait sa propre procédure d’enregistrement. En Italie et au Luxembourg, il fallait envoyer un fax. En Espagne et en France, avoir une adresse locale. Nous avons dû faire appel à des avocats locaux. Puis nous avons commencé à programmer et à automatiser ces procédures. » C’est ainsi qu’en 2002, EuroDNS voit le jour pour se consacrer à cette mission.

En pratique, le système de noms de domaine – ou DNS (Domain Name System) – est supervisé au niveau mondial par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), qui remplit ainsi une tâche indispensable pour le fonctionnement du réseau internet mondial. De fait, pour contacter une personne sur Internet, il est nécessaire de saisir une adresse (un nom ou un numéro) sur son ordinateur qui doit être unique pour permettre aux ordinateurs de s’identifier entre eux et aux utilisateurs de trouver des sites web particuliers. Le rôle de l’ICANN est ainsi de coordonner ces identifiants uniques à l’échelle internationale.

Mais l’ICANN ne gère pas directement l’attribution des noms de domaine. Elle passe des contrats avec des « registres » – Restena au Luxembourg, DNS Belgium en Belgique, l’AFNIC en France, DENIC en Allemagne – sous lesquels les noms de domaine sont enregistrés. Néanmoins, une entreprise ou un particulier qui souhaite enregistrer un nom de domaine ne s’adresse pas non plus directement à ces registres : il recourt à des « registraires », des entreprises accréditées par l’ICANN qui vendent ces noms de domaine et sont libres d’appliquer les tarifs qu’ils souhaitent.

« Aujourd’hui, il est plus facile d’ouvrir la porte d’une entreprise avec un produit cybersécurité parce que tout le monde a peur »

Au début des années 2000, alors qu’EuroDNS se lance comme registraire, Internet connaît sa « ruée vers l’or » et Xavier Buck compte bien en tirer profit. « Chacun pensait avoir l’idée de génie pour créer un site et faire fortune. Mais chaque fois que quelqu’un voulait mettre en place son idée, il avait besoin d’un nom de domaine », remarque-t-il. « Si vous avez une super idée, il faut la protéger, il ne faut pas qu’un de vos voisins vous la vole en piquant un de vos noms. Donc si vous prenez le .lu, il faut aussi prendre .de, .be, .fr, et peut-être qu’un jour vous irez en Italie, donc vous prenez aussi .it. Or tous ces noms de domaine dans tous les pays potentiels où vous irez, cela commence à représenter un joli panier sur lequel vous payez des frais. » Une multinationale comme Lidl doit ainsi enregistrer des milliers de noms de domaine à travers le monde pour protéger sa marque, en incluant la panoplie de variantes orthographiques que les potentiels clients pourraient rechercher par erreur.

En outre, le revenu que perçoit le registraire est récurrent : chaque année, le nom de domaine enregistré doit être renouvelé, de même que les services annexes que fournit le registraire : certificats SSL, adresses e-mail siglées, hébergement web, confidentialité du domaine… Tout en sachant que le taux de renouvellement se situe autour de 90%.

A l’époque, alors que la plupart des entreprises accréditées limitent leur activité aux frontières de leur pays – les registraires français proposent d’enregistrer seulement les noms de domaine pour la France, les registraires allemands pour l’Allemagne, etc. -, EuroDNS se démarque en proposant ce service à l’échelle de l’Europe – avant de passer dans un second temps au niveau mondial. « Nous avons automatisé, au fur et à mesure, pays par pays. Puis les serveurs parlent entre serveurs », explique Xavier Buck. « Nous étions vraiment un des premiers en Europe à avoir réussi à automatiser tout cela et à le contrôler de manière efficace. » En outre, EuroDNS est aussi un des premiers sites à proposer à l’utilisateur de chercher en temps réel, de manière simple et interactive, la disponibilité d’un nom de domaine.

Les entreprises accréditées sont malgré tout nombreuses sur le marché et la concurrence est rude. Il s’agit de se faire sa place parmi les milliers d’acteurs, notamment en termes de référencement sur Google – mais Xavier Buck est alors prêt à tout. « J’ai tout essayé pour gagner en visibilité sur Google, c’était vraiment difficile », admet l’entrepreneur, qui reconnaît avoir dû être « très imaginatif ». Il n’hésite ainsi pas à acheter un portail, domainnews.com qui, avec toute l’apparence d’un blog officiel neutre, renvoie vers EuroDNS. Lors du lancement du domaine .eu en 2005, exploité par le registre EURID (European Registry for Internet Domains) qui utilisait les noms de domaine eurid.info puis eurid.eu, il conclut un partenariat avec le détenteur du site eurid.com pour rediriger le trafic vers celui d’EurodDNS. Dans le même ordre d’idées, il ne lui faut pas plus de trois jours de réflexion pour décider avec son associé Marco Houwen d’investir un million d’euros dans la société américaine DomainTools – alors en difficulté, mais avec une grande visibilité sur Google – afin de négocier des banners redirigeant vers EuroDNS sur chaque page affichée du site. « Ils avaient une visibilité incroyable à l’époque, jusqu’à 700.000 visiteurs par jour », se souvient-il. De quoi capter une bonne part du trafic.

L’activité croît rapidement. « Datacenter continue aussi à grandir gentiment, mais EuroDNS a vraiment décollé très, très vite », constate Xavier Buck. Fort de ce succès, la stratégie d’internationalisation se renforce, à coup d’acquisitions d’entreprises concurrentes. Namespace, créé en 2007, chapeaute désormais EuroDNS et les autres sociétés progressivement intégrées : Dotroll, un registraire hongrois, est acheté en 2016, l’Australien Domain Central et l’Espagnol Entorno Digital rejoignent Namespace en 2018, ou encore les Allemands hosting.de ou http.net en 2022.

L’idée est d’intégrer les marchés étrangers en rachetant des entreprises locales déjà implantées. « Nous continuons de grandir par le biais des marques locales », confie Xavier Buck. « Je ne vais pas renommer Entorno en EuroDNS et dire à Barcelone : maintenant vous achetez chez un Luxembourgeois qui s’appelle EuroDNS. Cela ne marcherait pas. Il faut donc préserver la marque Entorno. » Le rachat de Hosting.de est ainsi une opportunité d’intégrer le marché allemand, très concurrentiel. « C’est une marque magnifique, nous allons beaucoup la pousser à l’avenir, nous avons vraiment très envie de faire de belles choses en Allemagne », s’enthousiasme Xavier Buck.

Namespace gère désormais plus d’un million de noms de domaine à travers le monde. Loin des plusieurs millions exploités par le leader américain du secteur aux Etats-Unis, GoDaddy, même si les chiffres restent difficilement comparables entre les acteurs, qui ne ciblent pas toutes la même clientèle. « Nous sommes dans le secteur haut de gamme, les extensions de pays complexes avec services à valeur ajoutée, et pas dans la masse avec quelques centimes », explique Xavier Buck. « GoDaddy ne fait que quelques centimes de marge par nom de domaine, nous faisons quand même en moyenne 4, 5 ou 6 euros. »

Au-delà des noms de domaine, Namespace diversifie en parallèle son activité. « Les enregistrements de noms de domaine et d’e-mails ou les certificats SSL sont déjà devenus des commodités », estime Xavier Buck. L’entrepreneur cherche désormais à s’imposer dans le monde de la cybersécurité, et ce via une autre entité de Namespace : EBRAND. Créée dès 2007, EBRAND répondait à l’origine à un besoin des grandes marques déjà clientes d’EuroDNS, comme Lidl, RTL ou Deutsche Bahn, qui réclamaient des services supplémentaires. « Nous faisions du monitoring, de sorte que personne n’abuse de leur marque ou ne prenne leur nom de domaine », explique Xavier Buck. « Au début, ce n’était que pour les noms de domaines. Maintenant nous le faisons aussi dans le monde de l’Internet en général, sur les réseaux sociaux, voire même sur des plateformes comme Telegram. »


Cet article est paru dans la troisième édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!

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