Chargées de la garde des actifs, de la surveillance et du suivi des flux de liquidités pour le compte des OPCVM et des fonds alternatifs, les banques dépositaires subissent depuis 2008 de nombreuses pressions des marchés, des régulateurs et de la Commission européenne, selon Laurent Fessmann, Banking & Finance partner chez Baker McKenzie. Comment peuvent-elles mieux se prémunir et s’adapter face aux risques notamment de marché et de réputation ?
À la suite de la crise financière de 2008, le législateur européen posait avec la directive AIFMD un cadre juridique réglementant la gestion des fonds d’investissement alternatifs. Son article 21 définit les responsabilités et devoirs des banques dépositaires.
Dans la version 5 de sa directive UCITS (UCITS V), l’exécutif européen alourdissait en juillet 2012 puis en 2018 les contraintes et responsabilités réglementaires de ces dernières.
Le Luxembourg est la juridiction européenne avec le plus de banques dépositaires, une soixantaine sur les quelques 120 établissements que compte la Place.
Selon Laurent Fessmann (Banking & Finance partner chez Baker McKenzie), de nombreuses interrogations persistent quant à l’interprétation des fonctions et des responsabilités de ces acteurs.
« Elles doivent se prémunir en amont pour éviter d’être impliquées dans des litiges entre les investisseurs et les gestionnaires de portefeuille. »
Laurent Fessmann, quels sont les principaux défis des banques dépositaires aujourd’hui ?
Depuis la crise de 2008, elles subissent de nombreuses pressions de la part des marchés, des régulateurs et de la Commission européenne.
Et notamment des investisseurs qui, suite à cette crise, se sont demandé comment ils pouvaient récupérer une partie de leurs avoirs perdus, auprès des gestionnaires des fonds qui avaient fait faillite ou avaient subi ou commis des fraudes.
Dans ce contexte, la banque dépositaire a alors été considérée un peu comme le sauveur qui doit conserver les actifs et le cash investis ; en d’autres termes, sauvegarder les intérêts des investisseurs.
Ainsi, nous avons assisté à la naissance d’un vrai droit du dépositaire en 2012-2013, qui énumérait ses principales attributions : vérifier les liquidités, conserver les actifs, faire de la surveillance.
En tout, trois missions, deux responsabilités ; la responsabilité pour négligence rend une banque dépositaire responsable au paiement de dommages et intérêts, à charge pour la partie lésée par la négligence (comme le fonds) de prouver la faute.
En revanche, en matière de conservation des instruments financiers, la responsabilité sans faute engage la banque dépositaire à restituer l’instrument financier dès lors qu’il est considéré comme perdu. C’est une super obligation, qui est implacable.
En cas de perte – peu importe si elle est fautive ou non, négligente ou non – elle est tenue de restituer l’instrument financier ou de le rembourser au même prix.
Cette mesure a jeté le trouble. Les acteurs du métier « dépositaires » se sont dit qu’il fallait établir des règles communes à la profession aussi appelées « standards de Place », afin de savoir ce qu’ils doivent faire, afin de prévenir tout risque, notamment en termes de fonds propres.
Mais aujourd’hui encore AIFMD 2 apporte très peu de clarifications sur ce que doit faire une banque dépositaire de fonds.
Mais comment celle-ci peut-elle perdre ces titres enregistrés sur ses comptes ?
Le monde de l’asset management et de la gestion collective n’est pas fragmenté, mais bien localisé sur tous les marchés mondiaux.
Le petit dépositaire a donc besoin de faire appel à une chaîne de sous conservateurs dans les pays de cotation et d’échange des actifs. Ces conservateurs ont la garde de ces actifs dans leurs comptes.
Dans cette chaîne de conservation, de multiples risques existent : risques de défaut de paiement à la livraison des titres, titres payés mais non livrés le jour de la transaction. Il peut y avoir des erreurs d’enregistrement des titres, ou des détournements, voire des risques de faillite d’un des maillons de la chaîne, qui font que les titres ne sont plus restituables.
« Les banques mutualisent leurs services, avec des hubs de back-office services, ouverts dans des pays où le coût salarial est le moins élevé. »
La banque dépositaire est donc obligée de contrôler toute cette chaîne de conservation et de restituer les titres, selon le principe de la responsabilité sans faute.
Autre défi : parmi tous les acteurs de la chaîne, la banque dépositaire est la seule responsable de la perte ou de la non-restitution des titres, devant les tribunaux.
Il faut savoir que la banque dépositaire n’est pas partie prenante dans le processus de décision d’investissement ; elle n’intervient qu’en tant que prestataire et conservateur des titres uniquement, après l’achat de titres. Ou bien pour mobiliser des liquidités en prévision de l’achat des titres.
En d’autres termes, le fonds est propriétaire des actifs ; mais l’investisseur qui a investi dans ce fond a la possibilité d’attaquer directement la banque dépositaire. Alors que les autres acteurs de la chaîne d’investissement ne sont pas assujettis à ce même régime de responsabilité.
Par exemple : en cas de risque de marché, si la valeur d’un titre chute les fonds de pension publics qui ont investi dans ces titres demanderont des comptes. Ils s’adresseront alors au gestionnaire qui leur a vendu le produit, qui s’adressera au distributeur du produit. Faute de réponse, ils se tourneront vers les autres acteurs de la chaîne comme les auditeurs, puis à défaut vers la banque dépositaire, s’il s’agit d’un acteur majeur.
A partir de quel moment la perte est-elle avérée ?
Les textes prévoient qu’il y a perte quand il y a impossibilité matérielle de recouvrer l’instrument financier. Il peut parfois s’écouler deux ans avant que les titres soient considérés comme perdus.
Mais celui qui doit interpréter le moment de la perte est le gestionnaire de portefeuille, et non la banque dépositaire. Les banques dépositaires sont donc à la merci des autres acteurs.
Toutefois, certaines essaieront immédiatement de négocier une solution à l’amiable afin de préserver leur réputation. Elles essaieront de trouver les titres sur les marchés, de les racheter et de les restituer.
Elles doivent donc se prémunir en amont pour éviter d’être impliquées dans des litiges entre les investisseurs et les gestionnaires de portefeuille.
Comment peuvent-elles alors se prémunir face à ce risque ?
Certaines sortent de marchés d’actifs complexes – comme celui des hedge funds – faute d’infrastructures pour surveiller ce type de produit et se spécialisent dans d’autres actifs.
Quand vous connaissez mieux l’industrie, ses prestataires, ses sous-traitants et sous conservateurs, vous maîtrisez mieux les risques et pouvez mieux les anticiper. En maîtrisant mieux les actifs en dépôt et les acteurs de sa chaîne de valeur, vous serez beaucoup plus résilients et performants.
« Les nouvelles technologies qui visent à réduire l’intermédiation financière pourraient également réduire le nombre d’acteurs sur le marché. »
Vous pourrez également effectuer une bonne due diligence et sélectionner les acteurs avec lesquels vous souhaitez travailler.
Par ailleurs, les banques mutualisent leurs services, avec des hubs de back-office services, ouverts dans des pays où le coût salarial est le moins élevé.
Dans ce contexte, quel est le futur de la banque dépositaire ?
Je pense qu’il passe par une hyperspécialisation des métiers. Avec des centres d’excellence, des acteurs connus, identifiés et experts dans leurs marchés et actifs.
Il passe aussi par des concentrations, à l’exemple de CACEIS qui rachète RBC. Une autre solution consiste à racheter des acteurs spécialisés, et d’élargir ainsi son offre de services et de classes d’actifs à conserver.
Les nouvelles technologies (intelligence artificielle, crypto monnaies, blockchain…) qui visent à réduire l’intermédiation financière pourraient également réduire le nombre d’acteurs sur le marché. Et certaines banques dépositaires se positionnent déjà sur le marché des actifs virtuels.