La banque privée suisse constate un retour de flux de capitaux vers l’Europe depuis le début de l’année. Mais selon Christopher Dembik, conseiller senior en investissement, ces mouvements sont tactiques et il faut continuer à préférer Wall Street sur le long terme.
« America, America ! » Christopher Dembik a dit l’essentiel dans le titre de sa présentation annuelle à Luxembourg ce vendredi, avec ce clin d’œil au fameux film d’Elia Kazan. « Great Again ! », aurait-il pu ajouter. Selon lui, les investisseurs doivent continuer à privilégier les actions américaines et en particulier les valeurs technologiques dans leurs portefeuilles. Car la suprématie des Etats-Unis va bel et bien se poursuivre et s’accentuer pendant le second mandat de Donald Trump.
Le conseiller senior en investissement chez Pictet n’a mentionné l’intérêt du Vieux Continent que lors de la séance des questions réponses, sans faire mystère de son scepticisme : « Le mois de janvier a été bon pour l’euro et les actions européennes en raison de flux de capitaux significatifs. Mais, de notre point de vue, ce sont des flux tactiques et opportunistes, liés aux niveaux de valorisation », a-t-il analysé, en estimant qu’ils pourraient s’inverser dans les prochains mois.
Stagnation économique en Europe
Christopher Dembik a exprimé des réserves quant à une issue favorable des prochaines élections allemandes en termes de relance budgétaire, à propos d’une amélioration espérée de la situation politique en France ou encore sur l’ampleur des effets positifs à attendre d’une résolution de la guerre en Ukraine.
« Même avec la poursuite de la baisse des taux de la BCE (Banque Centrale Européenne), le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe, qui souffre d’une stagnation économique, restera important. Je ne rencontre actuellement aucun investisseur qui privilégie l’Europe », constate Christopher Dembik.
L’activité a progressé de 2,5 % aux Etats-Unis l’an dernier, contre 0,7 % seulement dans la zone euro.
Selon lui, les marchés d’actions gardent tout leur potentiel, grâce aux assouplissements monétaires des banques centrales et à la collecte de capitaux qui sortent des fonds monétaires pour s’orienter vers la Bourse. Mais c’est bien en direction de Wall Street qu’il faut regarder en priorité selon lui.
Des statistiques favorables
Il est vrai que la performance 2024 du S&P 500 et du Nasdaq doit beaucoup aux fameux Sept Magnifiques, Alphabet (maison mère de Google), Amazon, Apple, Meta (ex-Facebook), Microsoft, Nvidia et Tesla. « L’an dernier, l’action Nvidia a représenté 50 % de l’ensemble des volumes échangés sur la plateforme Interactive Brokers », reconnaît-il. Mais ce phénomène de concentration est mondial selon lui. En Allemagne, SAP pèse 15 % de la capitalisation de l’indice DAX mais 75 % de la performance 2024.
Par ailleurs, les statistiques plaident pour un nouveau bon millésime 2025. « Après une année de hausse de 20 % à 25 %, les rendements moyens de l’exercice suivant ont atteint 8,92 % entre 1928 et 2023 aux Etats-Unis », souligne l’expert.
Certes, il y aura des corrections, mais elles seront salutaires et ne remettront pas en cause la tendance de fond : « Peu importe la situation politique et économique, ou bien les événements (guerre, pandémie, récession,etc), les entreprises américaines résistent toujours à tout ».
Pictet renouvelle toute sa confiance au secteur technologique américain. « Ce sont des entreprises leaders et des machines à cash », résume Christopher Dembik. « Leurs abondants flux de trésorerie leur permettent d’augmenter leurs rachats d’actions qui sont un des principaux moteurs de la Bourse ».
Un risque de disruption
N’y a t-il pas néanmoins un risque de disruption, avec l’arrivée d’un nouvel entrant, comme le chinois DeepSeek dans l’intelligence artificielle, qui remettrait en question l’hégémonie des leaders actuels? Là encore, c’est sans compter sur la capacité de réaction de la Silicon Valley. « Nvidia va commercialiser sa nouvelle puce Rubin d’ici 6 mois et avec 6 mois d’avance. Elle sera beaucoup moins énergivore et ne devrait pas coûter beaucoup plus cher. Par ailleurs, l’arrivée de Deepseek est une excellente nouvelle pour l’ensemble du secteur », juge-t-il. Son système open source est facile à répliquer. Il prouve par ailleurs que les entreprises auront beaucoup moins d’investissement à réaliser que prévu.
Et Donald Trump dans tout ca? Selon Christopher Dembik, l’élection du 47ème président des Etats-Unis s’inscrit dans un tournant géopolitique de long terme. D’après lui, la menace de hausse des tarifs douaniers est avant tout brandie pour obtenir des concessions, notamment en termes d’immigration ou de commerce, par exemple pour favoriser les exportations de la production énergétique américaine.
« Une grande partie de son programme ne sera probablement pas mise en œuvre », anticipe-t-il.