Pilote de ligne, fondateur d’un domaine d’exception en Moselle et entrepreneur visionnaire, Alexandre Keff poursuit et démultiplie l’aventure familiale. Entouré de ses proches, avec un idéal forgé dans les étoiles.
Le lieu est saisissant : en pleine campagne mais littéralement au cœur de l’Europe, au carrefour de la France, de l’Allemagne et du Luxembourg, s’élève un bâtiment moderne, paradoxalement monté en pierres rustiques. Labellisé Relais & Châteaux depuis 2019, ce projet fou – mais ancré dans une terre précurseuse et fertile – déroule sa terrasse avec piscine panoramique chauffée à 29° sur une perspective de nature à perte de vue, dorée par des champs de colza.
On est accueillis avec des pâtes de fruits maison dans la chambre, et des pâtisseries offertes au salon. Inauguré en 2016 après quatre ans de travaux, ce domaine cinq étoiles tient son nom des collines du Klausberg qu’il domine, construit sur un champ et surtout, sur le rêve d’Alexandre Keff.
La force de la conviction
Cet entrepreneur insatiable, fils de Charles Keff qui avait lui-même repris l’Auberge de La Klauss à la suite de ses parents, a créé cet impressionnant domaine pratiquement de ses mains, à la force de son intuition, grâce à un terrain acquis pour 20 000€ et une tonne de pommes de terre en 2012. Pilote de ligne chez Luxair depuis 25 ans, ce premier défi professionnel ne l’avait déjà pas découragé lorsque, adolescent et pas forcément prédestiné à déployer ses talents en altitude, il avait annoncé son projet de vie à ses parents. Inarrêtable, le jeune homme avait accédé à ce métier rare grâce à une indéfectible persévérance. Puis à la trentaine, l’ambition plantée haut dans les airs, il a commencé à concevoir un nouveau projet, d’ancrage cette fois. Alexandre souhaitait diversifier ses activités et revenir aux racines entrepreneuriales de la famille. Pendant ses longs courriers, il a dessiné son hôtel idéal. Plus il était loin, plus il rêvait proche. À partir de ses dessins, il a conçu l’hôtel avec un ami architecte local. Il y a investi toutes ses économies et bien sûr contracté des prêts, restant toujours 100 % indépendant, sans investisseurs externes. Et parce que les pierres de carrière coûtaient trop cher, celles qui ont servi à construire l’hôtel ont été extraites du terrain familial. Comme les murs, le projet a grandi, a déployé ses enceintes. Une extension a été construite en 2020 grâce à un chantier initié dès le lendemain du confinement. L’hôtel dispose actuellement de 16 chambres supérieures et de 12 suites, portant chacune le nom d’un membre de la famille Keff.
Un investissement personnel
Au mois d’octobre, de nouveaux travaux d’extension débuteront pour construire dix suites supplémentaires, et agrandir le Spa Gemmology qui passera, avec sa piscine intérieure et ses cabines de soin, de 800 à 3000m². Jamais découragé par les (nombreux) premiers refus des banques, aux origines du projet, à un moment où la situation devenait périlleuse, Alexandre Keff avait finalement été suivi par la Banque Populaire, le CIC et la BPI. Il a ainsi pu investir 3,6 millions dans la construction de la première mouture de l’hôtel, injectant par la suite 2 millions pour l’extension et le développement du restaurant, puis un million en 2023 pour la création d’une table estivale, de nouveaux espaces extérieurs et de la piscine. L’investissement est donc monté en huit ans à près de 7 millions d’euros, auxquels s’ajouteront cet automne 10 millions pour l’extension du spa cette fois. Avant l’agrandissement imminent, le domaine est déjà estimé à 12 millions d’euros. « En 2024, nous allons dépasser les 10 millions de chiffres d’affaires. La première année, l’hôtel avait déjà réalisé un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros », souligne Alexandre Keff. S’il reçoit très fréquemment des propositions de rachat, l’entrepreneur de 45 ans n’a aucune intention de vendre son projet-passion. Il n’aime pas le mot « succès » : « c’est la somme du travail et des efforts investis. Nous avons beaucoup fait nous-mêmes. J’ai réalisé la maçonnerie avec mon père. Je connais l’hôtel dans ses moindres recoins, dans ses plus infimes aspects techniques ».
Des équipements haut de gamme
Situé à une demi-heure du centre de Luxembourg et à 40 minutes de Metz, le Domaine de La Klauss n’est pas seulement accueillant pour ses clients, il l’est aussi pour les sept chevaux d’une beauté presque irréelle qui vivent au haras installé à deux trots de la piscine dotée de transats et d’un bar immergé, et d’une terrasse avec bulles de tranquillité, héritées de la période Covid. Ce fantasme équestre est celui de Mathilde Keff, l’épouse d’Alexandre, directrice de l’établissement depuis cinq ans et férue d’équitation. Cinq chevaux pure race espagnole et deux lusitaniens sont accompagnés d’un cavalier à demeure, qui pratique avec eux l’art équestre. Les clients de l’hôtel peuvent également s’adonner à la déconnexion par l’équitation, s’ils possèdent une licence en cours et revendiquent un niveau Galop 5 ; cours de dressage et balades leur sont alors ouverts. Domaine agricole, La Klauss élève en outre 8000 oies et canards qui composent une toile impressionniste mouchetée de blanc sur le flanc de la colline, que l’on aperçoit par la fenêtre de sa chambre. Les anatidés côtoient en liberté les cochons noirs et roses élevés en plein air par Frédéric, le frère d’Alexandre, Chef à l’Auberge mais aussi agriculteur et fermier. A Montenach, la famille dispose de sa propre pisciculture, avec des truites et des ombles chevaliers. Même leurs réseaux sociaux sont gérés en interne, par Alexandre et Mathilde : sans community manager ni experts en communication, le Domaine affiche près de 150.000 abonnés sur Facebook, revendiquant la deuxième page hôtelière de France.
Le goût d’un luxe apaisant
Sous les auspices du chef Benoît Potdevin, le restaurant le K, ouvert en 2017, a reçu au mois de mars dernier sa première étoile au Guide Michelin. On peut y dîner au comptoir, directement dans la cuisine, pour voir la magie du Chef opérer. Pour déjeuner léger mais gourmand à côté de la piscine, le Komptoir offre quant à lui une cuisine généreuse et gastronomique, entièrement réalisée au feu de bois par Lucien Keff, le cousin d’Alexandre. Il faut goûter la tarte flambée aux truffes, qui ne triche pas avec le produit. Le petit déjeuner, moment qui distingue un bon hôtel d’une adresse iconique, mérite ses lettres de noblesse régionales avec bretzels et mirabelles, produits du terroir variés soigneusement sélectionnés, et en plus du buffet particulièrement complet, des œufs à la commande qui viennent, comme le yaourt, de la ferme voisine. Sans oublier les gaufres et les crêpes préparés minute, ni les viennoiseries colorées avec art à la pistache et à la framboise, livrées tout spécialement de Strasbourg. Résultat de cette convergence d’excellence : pour profiter d’un week-end hors normes mis en perspective avec la dimension rurale de la région, il faut réserver six mois à l’avance. Bientôt les personnalités qui souhaitent rester discrètes pourront également s’installer dans deux lodges à l’écart, en construction.
« Celui qui craint la concurrence n’a rien compris »
Bénéfices et développements du concept
Indéniable locomotive pour l’économie de la région – le nombre d’employés est passé de 10 à l’ouverture, à une centaine aujourd’hui – le Domaine de la Klauss attire de plus en plus de visiteurs et inspire d’autres entrepreneurs. L’hôtel affiche toute l’année un taux de remplissage de 99 %, ce qui en fait un cas unique auprès des Relais & Châteaux. Autre fait rare, l’hôtel a été rentable dès la deuxième année d’exploitation, avec une clientèle à 80 % locale qui draine évidemment des frontaliers, et un peu plus loin des Belges, des Hollandais et des Britanniques. Engagé dans le développement local, Alexandre s’implique auprès de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. Il est par ailleurs vice-président de Moselle Attractivité, une organisation qui a pour but de dynamiser le tourisme et l’économie, et où il consulte, bénévolement, « pour contribuer encore à développer le territoire. Plusieurs projets d’hôtel et de spas ont été lancés dans l’élan de la Klauss. Celui qui craint la concurrence n’a rien compris ». L’entrepreneur, qui a déjà créé une offre différenciante, s’apprête, en association avec Pierre Singer à ouvrir un deuxième établissement en novembre dans les Vosges : Le Domaine de Montagne à Ventron, ancien Hermitage. Ce nouvel hôtel, 4* dans un premier temps, comprendra 28 chambres, et cultivera une ambiance chic et décontractée, familiale, tandis que les cinq étoiles de La Klauss signent un lieu plutôt romantique, « pour des couples qui s’accordent du temps ». Leader avec son personnel, le patron n’hésite pas à monter lui-même les bagages de nouveaux arrivants, et a récemment donné un TED* sur le thème « Rêvez » : « mon histoire, ce n’est pas le rêve américain, c’est le rêve mosellan ». Et pour ses visiteurs, un moment hors du temps.
domainedelaklauss.com Nuit à partir de 350 euros. Fermeture annuelle de trois semaines en janvier.
* www.ted.com/tedx/events/56216
Cet article est paru dans la troisième édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!