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Au Luxembourg, une stratégie spatiale « définitivement orientée business »

L'écosystème spatial luxembourgeois a connu une croissance rapide, mais la rentabilité économique se fait attendre dans un secteur où les retombées sont à long terme.

Porté par une stratégie probusiness, l’écosystème spatial luxembourgeois est désormais fort de 80 entreprises et 1.400 emplois. La valeur ajoutée économique est toutefois plus lente à se concrétiser dans un secteur où atteindre la rentabilité est un horizon à long terme.

« Nous avons une très bonne image auprès des entreprises », se réjouit le CEO de la Luxembourg Space Agency (LSA), Marc Serres. « Le Luxembourg est désormais connu comme étant un pays où on peut développer du business spatial. »

Lors de ses débuts dans les années 1980, la stratégie visant à diversifier l’économie par le biais du spatial a pourtant eu ses détracteurs. Mais le succès de l’opérateur SES, lancé en 1985, désormais un des acteurs majeurs de la télécommunication par satellite au niveau mondial, a convaincu les sceptiques.

Il faudra tout de même attendre 2008 pour que le Luxembourg adopte officiellement une première version de sa stratégie spatiale, quelques années après son adhésion à l’agence spatiale européenne (ESA), en 2005. Mais l’idée porteuse est restée une constante : la diversification économique. « L’ambition était déjà d’utiliser les programmes de l’ESA comme un instrument pour aider les entreprises à développer leurs activités », se rappelle Marc Serres.

Cette approche business est d’ailleurs très spécifique au Luxembourg, le volet scientifique restant bien souvent la motivation première de la plupart des pays. « Nous restons beaucoup plus proches de l’applicatif », explique Marc Serres. « Le ministère et l’Université font souvent des partenariats avec des acteurs économiques. » Le Luxembourg est d’ailleurs parmi les premiers pays à transférer, dès 2013, la compétence du spatial depuis le ministère de la Recherche vers l’Économie.

Fondée en 2018, l’agence spatiale luxembourgeoise, la LSA, s’inscrit d’ailleurs dans cette perspective, au contraire de la plupart des agences spatiales, traditionnellement axées vers le scientifique. « Notre mission, c’est d’aider les entreprises », confirme son CEO, Marc Serres. « Seul le Royaume-Uni a un état d’esprit similaire. Bien sûr, cela commence à se développer dans d’autres pays aussi. Mais nous sommes définitivement orientés business et, de par cet héritage, nous comprenons le langage des entreprises, ce qui n’est pas toujours le cas des autres agences. »

Si le budget de l’Etat consacré au spatial est à la hausse, avec 256 millions d’euros pour la période 2023-2027, pas question non plus de dépenser sans compter. Pour rappel, la collaboration avec l’ESA fonctionne de la manière suivante : si le Luxembourg investit 100 euros dans l’ESA, l’ESA donne pour 80 euros de contrat aux entreprises luxembourgeoises. Pour obtenir plus de contrats, l’État doit donc investir plus d’argent. Or la limite est claire : « Nous pouvons utiliser l’ESA pour aider les entreprises dans leur premier développement », explique Marc Serres. « Mais celles-ci doivent ensuite trouver d’autres clients pour se financer avec de l’argent privé. »

Les entreprises sont par contre libres de présenter des projets dans presque tous les secteurs d’activité, pour autant qu’il y ait une opportunité de marché. La moitié des entreprises présentes dans le pays sont désormais actives dans le « downstream », domaine dans lequel elles utilisent des infrastructures ou des données spatiales pour en faire des applications, et ce dans des secteurs très variés  : de l’anticipation des récoltes grâce à l’imagerie satellitaire à la gestion des inondations en passant par les assurances ou la planification urbaine. L’autre moitié des entreprises est quant à elle active dans le développement d’équipements terrestres et spatiaux, comme la production de composants technologiques ou la fabrication de satellites.

En 2016, toujours dans cet esprit de diversification économique, le Luxembourg, sous l’impulsion du ministre de l’Economie de l’époque, Etienne Schneider (LSAP), lance en fanfare une initiative sur le space mining. « C’est une démarche visionnaire : les premières actions sont prises pour positionner le Luxembourg dans une thématique qui sera opérationnalisée dans 15, 20, peut-être 25 ans », admet Marc Serres. Le défi restant de trouver des entreprises qui ont cette vision à long terme tout en étant capables de valoriser des technologies pour générer des revenus à court terme. « Ce n’est pas facile », convient-il.

« Le Luxembourg veut en tout cas entretenir l’idée qu’il est un pionnier dans le domaine.  »

Le Luxembourg veut en tout cas entretenir l’idée qu’il est un pionnier dans le domaine. En 2017, il est le premier pays européen, et le deuxième dans le monde après les Etats-Unis en 2015, à adopter une loi – controversée – sur l’exploitation des ressources spatiales. En 2020, il fonde l’ESRIC, seul centre de recherche dédié aux ressources spatiales. Et il accueille en mars 2024 la Space Resources Week, la plus grande conférence sur le sujet, avec plus de 1.000 participants.

La stratégie spatiale gouvernementale 2023-2027 s’est quant à elle teintée de durabilité, en orientant la communication vers la gestion des débris spatiaux ou en insistant sur une exploitation des ressources spatiales « suivant une approche de développement durable ». « Il ne faut pas le voir comme quelque chose de contraignant », prévient toutefois Marc Serres. « Il s’agit d’une opportunité pour de nouvelles technologies, de nouveaux services, de nouveaux marchés pour le futur. » Opérer des services en orbite pour collecter les débris spatiaux ou étendre la durée de vie des objets en orbite en les réparant ou en les transformant via du space manufacturing sont autant de nouvelles possibilités, assure-t-il.

La dynamique de l’écosystème spatial luxembourgeois paraît de prime abord solide : 16 entreprises en 2012, une trentaine en 2018, près de 80 en 2024. Avec quelques succès notables : SES bien sûr, mais aussi Spire, LuxSpace ou Redwire. Idem pour l’emploi, en forte croissance : autour de 600 personnes employées en 2012, 840 en 2018, environ 1.400 en 2024.

Les retombées économiques semblent toutefois plus limitées. Entre 2012 et 2018, la valeur ajoutée brute annuelle générée par le secteur fluctue entre 670 et 800 millions d’euros, sans augmentation notable, et la part dans la valeur ajoutée brute totale du pays stagne autour de 1,5%. Depuis, aucune donnée sur la valeur ajoutée économique n’est disponible, mais, avec les années Covid, le secteur semble avoir marqué le pas. « Les derniers chiffres devraient nous permettre de savoir s’il y a un creux spécifiquement lié au Covid ou un problème de développement de l’écosystème », estime Marc Serres.

La patience reste néanmoins de rigueur, selon lui : « Au niveau économique, l’évolution est moins rapide, et c’est normal : développer ses activités, se positionner sur le marché, arriver à un point de rentabilité, tout cela prend du temps », justifie-t-il. Celui-ci espère des retombées économiques plus notables après 2026, le nombre d’entreprises et d’employés ayant explosé à partir de 2016.

Néanmoins, face aux incertitudes du marché, aucun objectif chiffré n’est fixé pour l’avenir. « Notre succès dépend de celui des entreprises, qui dépend de nombreux facteurs incontrôlables », justifie Marc Serres. Celui-ci souhaite en tout cas « plus d’entreprises, et au moins un acteur de la taille de SES, afin qu’il ne soit pas le seul à contribuer. » D’autant plus que l’évolution même de SES est désormais incertaine, alors que l’entreprise est confrontée à l’émergence de nouveaux concurrents, dont Starlink d’Elon Musk.

« Le programme gouvernemental est très clair : le spatial reste une priorité. »

Le prochain conseil ministériel de l’ESA, prévu en 2025, devrait permettre à la nouvelle coalition CSV-DP, jusque-là silencieuse sur le sujet, de préciser ses ambitions. Mais la continuité paraît acquise. « Le programme gouvernemental est très clair : le spatial reste une priorité », assure Marc Serres. En ligne de mire, le Space Campus, qui permettra d’accueillir les entreprises sur deux sites dédiés, avec l’ambition de stimuler encore davantage l’écosystème.


Cet article est paru dans la seconde édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!

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