Lors de son bilan 2023, l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL) a vanté « les résultats exceptionnels » des 188 acteurs du secteur. Mais dans quelle mesure ces banques soutiennent-elles l’économie réelle du pays ?
Le 22 avril dernier, l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL) a présenté son bilan 2023 et son rapport d’activités, lors d’une conférence de presse organisée à la House of Finance.
L’organe de défense des intérêts des banques luxembourgeoises a dressé un premier état des lieux de l’activité sectorielle.
Consolidation et stabilité
Selon Jerry Grbic son CEO, « le secteur se consolide » : avec une baisse progressive ces dernières années du nombre d’entités autorisées ; fin 2023, la Place financière en comptait 188, contre 128 trois ans plus tôt.
« Le secteur bancaire luxembourgeois reste fortement diversifié, » a poursuivi M. Gbric, avec quatre grands piliers d’activités : la banque de détail ; la banques privée ; les services bancaires et de financement d’entreprises (Institutional et Corporate banking) ; les services de banques dépositaires et de conservation (Depository and Custodian Banking).
Auxquels s’ajoutent les acteurs spécialisés dans les solutions de paiement, les entreprises d’investissement, ainsi que les family offices.
Toujours selon l’ABBL, l’activité et l’emploi du secteur sont restés stables en 2023 : avec un total des bilans des banques estimé à 946 milliards d’euros (contre 938 milliards en 2022 et 970 milliards en 2021), et un staff total resté constant, à environ 26.000 personnes ces quatre dernières années.
Le montant des actifs gérés par le segment de banque privé a continué sa croissance progressive, à 585 milliards d’euros en 2022, les chiffres 2023 n’ayant pas été communiqués. Ce montant était de 225 milliards d’euro en 2008.
Des résultats exceptionnels
Au chapitre des comptes de pertes et profits des banques pour 2023, l’ABBL affiche des « résultats exceptionnels », avec un revenu net d’intérêts en hausse de 50% sur la période, à 10,27 milliards d’euros (contre 6,08 milliards d’euros en 2022).
Les bénéfices ont cru de 67,3% au cours de l’exercice. Pour Guy Hoffmann, Vice-Président de l’ABBL, ces résultats exceptionnels sont essentiellement dus à l’augmentation des marges d’intérêt, et plus particulièrement aux liquidités que les banques replacent auprès de la Banque centrale, dans le cadre de leurs obligations prudentielles.
« En effet, après une décennie de taux bas, voire négatifs, et une rentabilité très faible du secteur bancaire, ces placements sont de nouveaux rémunérés, » explique-t-il.
En contrepartie des revenus élevés engrangés, le montant des impôts directs payés a également augmenté… de 104,6%, à 1,606 milliard d’euros, contre 785,5 millions en 2022.
Quelle contribution à l’économie réelle ?
Fort de ces résultats, l’ABBL a présenté l’industrie bancaire comme « un contributeur majeur à la prospérité du Luxembourg », et le secteur financier comme « un moteur de l’économie locale ».
Les arguments invoqués : sa quote-part à hauteur de 25 à 30% au produit intérieur brut luxembourgeois ; et sa contribution de plus de 35% aux recettes fiscales nationales ».
Faut-il toutefois se réjouir d’une dépendance aussi élevée du pays vis-à-vis d’un secteur d’activité ? Et quelle est la contribution concrète des banques à son économie réelle ? Sur ce point l’ABBL n’apporte malheureusement pas de réponses.
De plus, une étude récente sur les services bancaires aux entreprises au Luxembourg, menée par cette dernière en collaboration avec la CSSF et PwC, montre que « le crédit aux entreprises au Luxembourg est principalement orienté vers le marché international », via les fonds d’investissement notamment.
En 2022, 75% des entités sondées déclaraient en effet réaliser au moins quelques activités de crédit aux entreprises en dehors du pays. Et 56 % d’entre elles indiquaient qu’au moins 76 % de leurs opérations de crédit sur le marché intérieur étaient axées sur le marché international.
Toujours en 2022, le chiffre d’affaires du segment a atteint les 4,9 milliards d’euros, soit une croissance de 24 % par rapport à 2021, 14% de cette hausse émanant de la seule industrie des fonds.
Selon Paul Wilwertz, Head of Communication à l’ABBL, une prochaine étude consacrée aux activités de banque de détails apportera des informations précises notamment sur le financement des entreprises locales.
« Nous en sommes arrivés à un stade où l’amplitude réglementaire dépasse la capacité d’absorption tant de l’industrie que des autorités de supervision. »
Difficiles ouvertures de compte
Toujours au chapitre de la contribution du secteur à l’économie réelle : pourquoi est-il si difficile pour les entreprises d’ouvrir un compte ?
Camille Seillès, Secrétaire Général de l’ABBL, rappelle que le droit au compte pour les entreprises a été supprimé en 2017 ; les banques n’étant plus obligées de fournir un compte bancaire aux personnes morales de droit luxembourgeois.
« Nous avons identifié trois défis majeurs, en matière d’ouvertures de comptes pour personnes morales, » poursuit ce dernier : « Les obligations réglementaires auxquelles les banques sont soumises, notamment en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ; la complexité de certaines structures, avant tout dans le domaine des fonds d’investissement ; et une vue parfois incomplète sur l’offre de services bancaires disponible dans le pays dont les créateurs d’entreprises et les investisseurs peuvent disposer ».
Parmi les solutions envisagées : des outils de communication pédagogiques à des fins d’éducation financière, afin de guider les entrepreneurs dans leur relation avec leur banquier, à l’ouverture et tout au long de la vie du compte.
De même, une liste de contacts dédiés au sein des banques et autres prestataires de services bancaires a été établie à l’intention des clients des banques.
Des initiatives en matière de formation ont par ailleurs été renforcées, notamment auprès des compliance officers, afin de leur permettre de mieux appréhender la complexité de certaines structures d’investissement.
Enfin, l’ABBL indique avoir exploré des pistes dans le domaine de la mutualisation de services : comme le processus KYC – Know Your Customer – obligeant les institutions bancaires et financières à s’assurer de la conformité de leurs clients aux réglementations anti-corruption, anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme.
Perte d’agilité et de compétitivité
Yves Stein, nouveau Président de l’ABBL, a pour sa part conclu que l’enjeu pour les banques était de rester durablement rentables tout en restant durablement conformes avec la réglementation.
« Or, nous en sommes arrivés à un stade où l’amplitude réglementaire dépasse la capacité d’absorption tant de l’industrie que des autorités de supervision, » a-t-il regretté.
« Les conséquences en sont une expérience client détériorée et une aliénation des clients qui ne comprennent plus en quoi cette complexité réglementaire leur est utile. Les banques luxembourgeoises et européennes perdent également en agilité et compétitivité face à leurs concurrents et voient leur capacité de soutenir l’économie réduite. »
En amont de la conférence de presse, l’ABBL a tenu son Assemblée générale qui a vu l’élection d’Yves Stein, CEO de la banque Edmond de Rothschild, à la présidence de l’association. Il succède à Guy Hoffmann, CEO de Banque Raiffeisen, élu Vice-Président de l’ABBL.