Fondée en 2020, Many Many, start-up luxembourgeoise spécialisée dans la gestion locative de résidences, ouvre un nouvel espace de coliving près de la Cloche d’Or : Henry’s. Son co-fondateur Nicolas Legay revient sur la stratégie immobilière et le modèle d’affaires de l’entreprise.
Nicolas Legay, quel est votre business model ?
Nous sommes une start-up de 4 personnes et notre activité porte sur la gestion locative de résidences et d’appartements. Concrètement, nous ne possédons ni ne louons ces bâtiments ; nous avons un contrat de plusieurs années avec les propriétaires, pour qui nous assurons les missions de gestion de leur immeuble.
Les prestations incluent la gestion des entrées et sorties des locataires, la vie à l’intérieur des résidences, les flux comptables et financiers, la maintenance et la gestion des contentieux si nécessaire… Les missions classiques d’un gestionnaire locatif, avec un axe à la fois sur le coliving et sur la gestion de biens meublés avec services.
Many Many rajoute une couche de services sur du résidentiel. Le propriétaire nous verse 8% sur les loyers perçus.
Qui sont vos clients ?
Notre clientèle est double : ce sont à la fois les locataires et les propriétaires. Les premiers sont une population jeune, de 30 à 35 ans en moyenne. Notamment des auditeurs des avocats, des salariés des Big 4 et de grands groupes américains, qui possèdent déjà une certaine expérience professionnelle.
Ce sont pour la plupart des expatriés, qui viennent travailler au Grand-Duché, avec comme seule promesse un CDI. Souvent, ils ne savent pas s’ils iront jusqu’au bout de leur période d’essai.
Face à cette incertitude, et s’il ne doivent rester que 3 ou 6 mois au Luxembourg, ils n’ont donc pas envie de perdre du temps en formalités administratives et logistiques.
Ce qu’ils cherchent avant tout, c’est du « plug and play ». Que tout fonctionne quand ils posent leur valise dans la chambre, et que tout soit immédiatement opérationnel. Nous leur offrons donc de la flexibilité, avec un ensemble de services et de support.
Dans notre métier, nous devons avoir cette flexibilité suffisante au cas où le client quitte la chambre au bout de deux à six mois, si leur mission n’est pas reconduite ou si un CDI ne leur est pas accordé.
Nos locataires sont aussi des grands utilisateurs des nouvelles technologies en mode collaboratif. Au Luxembourg ils ne connaissent personne ; et ils ont besoin de se connecter rapidement avec un tissu social et un réseau de connaissances. Via notre plateforme, ils peuvent discuter et échanger entre eux et avec les locataires des autres résidences, voire organiser des événements ensemble.
« Le plus efficace reste donc du « Build-to-Rent », à savoir construire pour louer ; avec un objectif de résidence gérée, en coliving ou en studio […] »
Concrètement, en quoi consiste votre offre de logements en coliving ?
Nous proposons l’équivalent d’une chambre d’hôtel, avec systématiquement une salle de bains par chambre, mais rattachée à des espaces communs : cuisine, séjour, salle à manger, etc. tout aussi qualitatifs. Au niveau de la décoration, de la configuration et de la programmation, nous nous positionnons sur du premium.
Il ne s’agit pas d’une offre de type co-location pour étudiants partageant un loyer. Nos biens s’adressent avant tout à une clientèle plutôt salariée. Mais il restent moins chers qu’un studio. Et outre un logement, nos clients viennent surtout chercher une expérience communautaire.
Quelle est la durée de vos baux ?
La durée contractuelle minimum est de six mois avec deux mois de préavis. Si le locataire souhaite partir avant la fin du contrat, il lui suffit d’adresser un mail à notre liste d’attente, qui compte environ 500 à 700 personnes. Généralement, nous trouvons un client qui reprendra la location dès le lendemain. Le client qui part ne perd donc pas sa caution de deux mois. C’est aussi la force de notre modèle.
Si le locataire souhaite prolonger son séjour, le contrat de location est prorogé par tacite reconduction de mois en mois : au bout de six, huit ou 12 mois, voire même deux ou trois ans… Il n’y a pas de limites. Nous ne sommes pas sur un renouvellement du bail à trois ans.
Qui sont les propriétaires ?
Il s’agit d’une part de particuliers qui nous confient leurs appartements. Ce sont aussi des investisseurs plutôt institutionnels – des grandes fortunes étrangères et des Family Office – qui possèdent des immeubles entiers. Ou encore des promoteurs, qui ont construit un immeuble, dont ils nous confient la gestion, avant de le revendre un an plus tard. L’idée est de la faire gérer pendant un certain temps, et de réaliser un track record (l’historique de la vie d’un bien) afin de montrer que son rendement est supérieur aux valeurs du marché. Ce qui rendra sa revente intéressante.
Nous avons aussi des banques et des assureurs dans le viseur. Toutefois le marché luxembourgeois reste encore un peu frileux. Et nous n’avons actuellement pas de projets concrets réalisés avec eux.
Nous livrons Henry’s route d’Esch (une cinquantaine de chambres). Mais notre prochain projet dans le radar compte une centaine de chambres : une taille physique qui pourrait déjà intéresser des investisseurs comme les banques et assureurs.
Comment adaptez-vous ces bâtiments et logements aux besoins de coliving ?
Il nous est arrivé de récupérer des logements et de les transformer pour du coliving, voire pour de l’appartement. Nous proposons aussi des studios et des chambres meublés avec des services dédiés.
Ces transformations suscitent cependant des travaux et donc une perte de m2. Aux prix du marché luxembourgeois, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre 2 ou 3 m2. Nous devons donc nous assurer que le retour sur investissement existe.
Le plus efficace reste donc du « Build-to-Rent », à savoir construire pour louer ; avec un objectif de résidence gérée, en coliving ou en studio, à l’exemple d’Henry’s.
Comment intégrez-vous l’économie circulaire dans votre business model ?
Nous y pensons dès l’origine du projet. Car nous sommes aussi sollicités par les propriétaires sur la réversibilité des bâtiments. Nous réalisons donc des estimations chiffrées du coût de retransformation des immeubles.
Nous préférons des appartements de quatre-cinq chambres qui se partageront une cuisine, un séjour, une salle à manger…
Et si le modèle change ou si le marché se retourne, ces biens pourront être rapidement reloués à une famille. Le tout avec des extras-communs au rez-de-chaussée en sous-sol, où l’ensemble des résidents de l’immeuble pourront se retrouver pour des anniversaires, des apéros… On retrouve cette programmation sur des résidences classiques.
En cas de nouvelle transformation, la structure du bâtiment ne change quasiment pas, sauf peut-être pour les chambres avec salle de bains qu’il faudra réaménager. Nous pouvons aussi modifier ces appartements de cinq chambres en appartements de deux et trois chambres.
Quel est le prix moyen de la location et comment vous situez-vous sur ce segment ?
Une chambre au Henry’s sera louée à environ 1.700 euros tout compris, avec les charges, Internet et les accès à la laverie connectée, au fitness, au coworking, au petit café en bas… Je n’ai qu’à poser mes valises et à me connecter.
Nous nous positionnons au-dessus d’une colocation classique, tout en restant un peu moins cher qu’un studio meublé. La différence, c’est que tout est compris : avec un modèle de location classique sans engagement sur trois ans, ni obligation de repeindre le bien en fin de bail. Notre offre est le chaînon manquant par rapport aux besoins des expatriés ou personnes qui arrivent au Luxembourg pour raisons professionnelles.
« nous voulons apporter plus de revenus à nos propriétaires. »
Comment vous positionnez-vous avec les autres acteurs du marché : syndics, agences de location, etc. ?
Nous ne sommes pas en concurrence avec les syndics. Dans les immeubles en copropriétés, ils s’occupent des espaces communs, et nous intervenons en synergie avec eux. Dans les monopropriétés nous prestons des services équivalents à ceux d’un syndic pour l’ensemble du bâtiment.
Nous ne sommes pas non plus en concurrence avec les agences immobilières : nous sommes sur un marché de grands appartements ou de grands blocs destinés à du coliving ou à des petits appartements. Mais nous ne recherchons pas des contrats de mise en location ou de gestion, là où ne cela fait pas de sens pour nous. Nos concurrents sont les acteurs historiques de co-location : Vauban&Fort et Furnished, qui sont sur un modèle plus low-cost, qui a le mérite d’exister, mais ce n’est pas notre positionnement.
Pourquoi selon vous les investisseurs institutionnels étrangers et les Family Offices s’intéressent-ils au coliving luxembourgeois ?
Les raisons sont avant tout fiscales ou pour des questions de structuration d’investissement au Luxembourg. Il y a quatre ans, c’était compliqué pour nous de les intéresser. Maintenant nous avons des arguments convaincants à leur avancer : un taux d’occupation de 100% sur toutes nos résidences, avec un fort taux d’arrivée de 700 expatriés en septembre ou janvier. Et des taux de rendement de 5,5-6%, supérieurs à ceux du résidentiel classique.
Notre modèle se situe entre les deux mondes : entre le résidentiel classique et le para-hôtelier. Dans ce dernier segment, le taux d’occupation ne sera jamais de 100%. Il peut fluctuer, on l’a vu avec le Covid, et il est plutôt saisonnier. Là, les revenus réguliers ne sont pas assurés pour le propriétaire.
Pour notre part, nous voulons apporter plus de revenus à nos propriétaires. Le risque existe toutefois, mais il est plus calculé, car nous enregistrons des taux d’occupation de 100%. En cas de vide locatif, nous nous engageons à payer le loyer au propriétaire.
Quels sont vos projets pour 2024 ?
Nous gérons actuellement 450 unités de logement. Et nous en avons environ 1.000 à 2.000 dans le pipeline. Avec toutefois un niveau d’incertitude par rapport aux discussions en cours avec les investisseurs. Nous avons déjà un très bon niveau de confiance sur un millier de d’unités. Pour le millier restant, nous sommes encore en négociations et en attente des autorisations de bâtir.
Pour l’année en cours, sous continuerons à développer notre portefeuille tout en consolidant nos atouts : l’efficacité opérationnelle et l’expérience utilisateur. Nous voulons en cela devenir le Airbnb de la résidence meublée et du coliving.