Fin 2024, un rover de fabrication luxembourgeoise sera envoyé sur la Lune, avec la mission de prélever du régolithe lunaire et de le vendre à la NASA. L’occasion de mettre pour la première fois en pratique la loi luxembourgeoise sur l’exploitation des ressources spatiales, adoptée en 2017. Mais aussi de susciter le débat à l’international, alors qu’aucun accord n’existe et que le sujet reste hautement controversé.
Fin 2024, une fusée Falcon 9 de SpaceX s’élancera vers la Lune avec à son bord un micro-rover, Tenacious, entièrement développé et assemblé au Luxembourg par la société ispace. Une des missions principales de ce rover sera de collecter pour le compte de la NASA du régolithe lunaire, puis de le vendre à l’agence américaine pour la somme de 5.000 dollars.
Une somme symbolique pour un achat symbolique, puisque le régolithe lunaire en question ne quittera pas le petit excavateur de Tenacious – ni la Lune. Cette transaction commerciale sera surtout l’occasion – au-delà des défis techniques – de tester la réglementation sur les ressources spatiales, notamment la loi luxembourgeoise de 2017.
« Une excellente occasion de mettre cette loi en pratique », se réjouissait d’ailleurs le CEO d’ispace-Europe, Julien Lamamy, lors de la présentation en juillet 2024 du rover Tenacious dans les locaux luxembourgeois d’ispace. « Mais également de susciter une discussion sur la manière de mettre en place ce type d’accord à l’échelle mondiale », ajoutait-il, puisqu’aucun accord international n’existe encore dans le domaine.
« Si le traité interdit l’appropriation des corps célestes, il ne dit rien, en revanche, des ressources qui pourraient en être tirées. »
De fait, la réglementation dans le domaine spatial est régie au niveau international par le Traité de l’espace de 1967. Mais l’exploitation des ressources spatiales n’y est pas définie de manière claire. L’article 2 du Traité dispose bien que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. » Mais son interprétation reste sujette à débat, car si le Traité « interdit l’appropriation des corps célestes, il ne dit rien, en revanche, des ressources qui pourraient en être tirées », constate un rapport d’information du Sénat français du 1er juin 2023.
« Selon une interprétation extrême de ce traité, il est possible de dire que cela est permis, que chaque pays fait ce qu’il veut et qu’il n’a de comptes à rendre à personne », précise le directeur adjoint de l’agence spatiale luxembourgeoise (LSA), Mathias Link. « L’autre extrême consiste à dire que cela est complètement interdit et que, pour exploiter les ressources spatiales, il faut un nouveau traité et une nouvelle réglementation internationale. »
Si un tel débat est resté très théorique pendant des décennies, faute de capacités technologiques pour une exploitation concrète des ressources spatiales, il en va tout autrement depuis quelques années, alors qu’une telle éventualité devient plus réaliste à court terme.
Dans cette perspective, les Etats-Unis n’ont pas attendu le lancement de négociations au niveau international pour prendre l’initiative dès 2015 avec l’adoption du Space Act, qui reconnaît de manière unilatérale que les ressources spatiales sont susceptibles d’appropriation en vue d’une exploitation commerciale.
La logique de la loi américaine est la suivante : « Il n’est pas ici question d’une appropriation nationale, par un État, mais bien d’une autorisation accordée à un acteur privé », explique le rapport du Sénat précité. Avec la volonté, sur le plan économique, « de développer la dimension commerciale de l’exploration et des activités spatiales, en garantissant aux potentiels investisseurs un droit de propriété sur les ressources tirées des corps célestes, et sur les revenus correspondants ».
Cette initiative unilatérale des Etats-Unis a toutefois crispé bon nombre de pays opposés à l’exploitation des ressources spatiales par des acteurs privés, en premier lieu la Russie – notamment car elle n’a guère les moyens d’exploiter de telles ressources dans le cadre d’un programme d’exploration spatiale autonome.
Le Luxembourg s’est quant à lui positionné du côté des pays favorables à une exploitation des ressources spatiales, et ce de manière active : à la suite du lancement en 2016 de la stratégie nationale « Space Resources » par le ministre de l’Economie alors en poste, Étienne Schneider, il devient le deuxième pays – le Japon et les Emirats suivront -, à adopter, dès 2017, une loi spécifiquement dédiée à l’exploitation des ressources spatiales. Mais avec une approche bien plus ouverte que celle des Etats-Unis.
« Il s’agit d’un premier pas, légiférer au niveau national ne suffit pas. »
« Selon notre loi, le Luxembourg est d’avis qu’il est possible d’utiliser les ressources spatiales et nous avons mis en place une procédure d’autorisation pour les missions sur les ressources spatiales », explique Mathias Link. « Mais nous avons été très clairs dès le début : il s’agit d’un premier pas, légiférer au niveau national ne suffit pas, toute une panoplie d’aspects doivent à un moment donné être clarifiés au niveau international. Donc nous nous sommes activement engagés au niveau des Nations unies. »
Après des années de débats houleux au sein de l’ONU, les discussions se sont finalement apaisées. « Tout le monde est désormais conscient du fait qu’il faut trouver une solution », observe Mathias Link. « Le Luxembourg, avec d’autres pays, a contribué à cela, en faisant comprendre qu’il est inévitable que les ressources spatiales soient exploitées, mais qu’il est aussi nécessaire que certains aspects soient clarifiés au niveau international. »
En 2022, un groupe de travail « sur les aspects juridiques des activités relatives aux ressources spatiales » a été constitué. Sa mission est de recommander un ensemble de principes et de lignes directrices qui pourront ensuite, le cas échéant, être reprises par l’Assemblée générale des Nations Unies sous la forme d’une résolution, elle-même pouvant déboucher sur un nouveau traité international.
Mais la patience est de mise, ces négociations ayant peu de chances d’aboutir à court terme, faute de consensus entre les pays. Les premières recommandations ne sont en tout cas pas attendues avant 2027 – au mieux. Pour le moment, l’exploitation concrète des ressources spatiales se situe donc, au niveau du droit international, dans une zone grise. D’où l’intérêt de la mission menée par ispace, qui consistera à « tester les différents cadres juridiques relatifs aux ressources spatiales », comme le rappelait le CEO d’ispace-Europe, Julien Lamamy.
« Pour les trois pays qui sont impliqués directement ou indirectement (les Etats-Unis avec SpaceX et la NASA, le Japon avec son alunisseur et le Luxembourg avec son rover, NDLR), tout est clair : les cadres juridiques, approuvés par les parlements des trois pays, existent, et nous évoluons avec cela », assure Mathias Link. « L’intérêt, ce seront les réactions d’autres pays ou organisations non gouvernementales. »
Des réactions, pour le moment, assez difficiles à prévoir – si elles ont lieu. Certains pays pourraient en tout cas, dans la ligne de ce qu’ils soutiennent au sein de l’ONU, s’offusquer de la vente de régolithe lunaire par une entreprise privée. « Mais il ne suffit pas de dire ne pas être d’accord, il faut aussi pouvoir argumenter », remarque Mathias Link. « Là, justement, nous aurons un cas concret, et nous verrons s’ils viennent mettre en doute certains aspects de cette mission. Cela permettra peut-être de soulever des considérations juridiques et il faudra voir comment les résoudre. »
Un débat juridique qui devrait dans tous les cas être constructif, les interrogations sur un tel sujet étant en elles-mêmes tout à fait légitimes, selon le directeur adjoint de la LSA. De fait, « doit-on autoriser des entreprises privées de pays développés à avoir ce genre d’activités, alors que certains pays en développement, qui n’ont pas d’industrie spatiale, n’en sont même pas capables ? », remarque-t-il. D’où l’importance de trouver rapidement un accord international, qui serait au bénéfice de tous. « Les grands pays ne vont pas attendre le reste du monde pour avancer », prévient Mathias Link.
Cet article est paru dans la troisième édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!