Alors que les allégations environnementales trompeuses lèsent les investisseurs, la durabilité doit s’imposer cette année comme une valeur fondamentale de la place financière du Luxembourg estime Laura Gehlkopf, ESG Coordinator à la CSSF.
Allégation environnementale trompeuse pour le consommateur et l’investisseur, pratique commerciale problématique visant à utiliser l’argument écologique de manière infondée pour améliorer son image, l’écoblanchiment est toujours plus régulé et plus sévèrement sanctionné.
« Le but de l’écoblanchiment est de tromper les investisseurs afin de les inciter à investir dans ces produits, bien que ces produits ne correspondent pas à leurs objectifs de durabilité, » explique la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF).
Parmi les pratiques déloyales pointées par cette dernière : la publicité trompeuse ; l’utilisation d’images suggestives d’arbres, d’animaux, de la nature, etc. afin de donner une impression de protection ou de respect de l’environnement ; l’utilisation de mots-clés, slogans, logos et labels présentant le produit comme « durable », « 100% biologique », « climatiquement neutre » ; les déclarations non pertinentes, ou encore le non-respect des objectifs publiquement annoncés.
En 2020, la Commission avait procédé à un inventaire des allégations environnementales, concernant un large éventail de produits au regard des principes de la directive sur les pratiques commerciales déloyales : clarté, absence d’ambiguïté, exactitude et vérifiabilité.
« […]seule une réponse collective permettra de lutter efficacement contre l’urgence climatique et de prendre en compte de manière efficace les enjeux de durabilité. »
Informations vagues, trompeuses…
53,3% des 150 allégations environnementales ainsi passées au crible fournissaient des informations vagues, trompeuses ou infondées sur les caractéristiques environnementales des produits dans l’ensemble de l’UE et pour un large éventail de catégories de produits.
Ce qui avait poussé la Commission et le Parlement européens à introduire en mars 2023 la proposition de Directive Green Claims relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites (directive sur les allégations écologiques).
En septembre 2023, l’Union européenne allait plus loin en annonçant l’interdiction prochaine de l’écoblanchiment et des publicités pour des produits non-durables.
Sur la période 2025-2040 suivant cette prohibition, les bénéfices estimés en termes de bien-être pour les consommateurs pourraient atteindre les 8,9 milliards d’euros, selon les auteurs du texte.
Lorsque la directive entrera en vigueur, les États membres disposeront de 24 mois pour se conformer aux nouvelles règles.
Dans sa feuille de route 2022-2024, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) liste les risques d’écoblanchiment dans le secteur financier, face à l’émergence continue de nouveaux produits d’investissement ESG.
« La combinaison d’une demande croissante des investisseurs, d’un marché en évolution rapide et de mesures législatives/réglementaires qui ne peuvent s’appliquer qu’avec un certain décalage dans le temps crée un décalage entre les demandes d’investissements susceptibles d’avoir un impact sur la durabilité et les opportunités d’investissement disponibles et commercialisées comme durables, » relève l’instance européenne. « Les conséquences de ce décalage sont multiples et peuvent finalement être reliées au risque de vente abusive ».
Au Luxembourg, quels sont les principaux risques du greenwashing pour la Place financière. Et comment la CSSF lutte-elle contre le phénomène ? Laura Gehlkopf, son ESG Coordinator revient sur les mesures que le superviseur compte déployer à cet effet en 2024.
Laura Gehlkopf, quels sont les principaux défis de l’écoblanchiment pour le secteur financier luxembourgeois ?
L’un des premiers défis à cet égard est d’abord la clarification et l’harmonisation au niveau européen des concepts fondamentaux pour assurer aux acteurs une certaine sécurité juridique.
Mieux comprendre le phénomène de l’écoblanchiment pour pouvoir le circonscrire et en assurer une surveillance harmonisée au sein de l’Union européenne, est une étape clé vers la création d’un environnement de confiance pour toutes les parties prenantes.
Il y a en ce moment un gros travail engagé au niveau européen, et auquel la CSSF contribue activement.
Il ressort notamment des travaux de l’ESMA que l’écoblanchiment est une problématique transverse qu’il est difficile d’appréhender par un seul biais et qui nécessite une réponse harmonisée au niveau européen.
En effet, seule une réponse collective permettra de lutter efficacement contre l’urgence climatique et de prendre en compte de manière efficace les enjeux de durabilité.
En 2024, la durabilité doit s’imposer comme une valeur fondamentale de la place financière du Luxembourg.
La CSSF continuera à soigneusement inclure les risques résultant de considérations de durabilité pour le secteur financier dans son approche de surveillance, et à œuvrer à une opérationnalisation efficace du cadre réglementaire par les entités sous sa surveillance.
Cela passe notamment par un meilleur encadrement du phénomène d’écoblanchiment, et des risques qui y sont liés, soutenu par des définitions et des conséquences potentielles plus fortes en 2024 et au-delà.
« […] la lutte contre l’écoblanchiment restera au premier plan en 2024, pas seulement pour le secteur financier, mais pour la société dans son ensemble. »
Quelles sont les priorités de l’UE et de la CSSF dans cette lutte ?
L’une des priorités sera de commencer par encadrer ce phénomène, afin de pouvoir par la suite construire les principes d’une surveillance coordonnée et efficace entre les secteurs et entre les autorités de l’UE.
La CSSF a contribué et continuera à contribuer activement à ces travaux via sa participation aux instances européennes et internationales et coopère aussi avec les autres autorités compétentes afin de partager les expériences et pratiques de surveillance en matière de lutte contre l’écoblanchiment.
En parallèle, la CSSF continuera également à veiller à la bonne intégration de l’ensemble des considérations ESG dans le système existant.
En effet, le respect des exigences réglementaires en matière d’ESG et la responsabilisation de l’ensemble des parties prenantes sont aussi des aspects importants de la lutte contre l’écoblanchiment.
Ses causes sont multiples et peuvent impliquer ou affecter un large éventail d’acteurs, pas seulement les consommateurs, et ce, à tous les niveaux de la chaîne.
Notre directeur général, Claude Marx, a souligné dans notre dernier rapport annuel que les critères ESG devraient faire partie de la stratégie, du plan d’affaires et de la gestion des risques de toute entité.
Les organes de direction doivent faire preuve d’expertise suffisante et la rémunération des cadres dirigeants devrait également être liée à des indicateurs clés de performance ESG.
En effet, la prise en compte des risques ESG et autres facteurs de durabilité dans les stratégies, les dispositifs de gouvernance et les processus internes des entités surveillées est donc essentielle.
Et ce, non seulement pour assurer la résilience du secteur financier face aux changements climatiques et aux risques de transition, mais également pour mitiger les risques d’écoblanchiment.
Au vu de l’ampleur des enjeux, il est important également d’anticiper en 2024 un durcissement de la lutte contre le phénomène d’écoblanchiment.
Dans le secteur financier, depuis 2022, la CSSF travaille activement à la mise en œuvre du cadre réglementaire en matière d’ESG, aussi plus personne ne devrait en ignorer l’importance.
Cela se reflète aussi dans les initiatives menées au niveau de l’Union européennes, celles initiées en 2023 comme celles qui seront menées en 2024.
Concrètement de quelles actions s’agit-il ?
Il s’agit tout d’abord d’une action de surveillance commune initiée en 2023 sur les risques et informations en matière de durabilité dans le secteur des fonds d’investissement, et qui continuera en 2024.
Toujours dans le domaine des fonds d’investissement, un travail est en cours, sur leur dénomination afin d’assurer une adéquation de l’utilisation du champ lexical associé à la durabilité avec les profils des fonds.
Il s’agit également d’une action de surveillance commune sur l’application des règles MiFID II relatives aux exigences en matière de durabilité. Celle-ci couvrira notamment la manière dont les entités collectent des informations sur les « préférences en matière de durabilité » de leurs clients.
De même, la BCE a récemment annoncé considérer des sanctions pécuniaires pour les banques qui tarderaient à suivre les recommandations de la BCE pour intégrer les risques climatiques dans leur activité.
Ainsi et sans surprise, la lutte contre l’écoblanchiment restera au premier plan en 2024, pas seulement pour le secteur financier, mais pour la société dans son ensemble.
« […] il ne faut pas oublier que le premier risque pour nous tous serait avant tout de ne pas réussir à répondre aux enjeux climatiques auxquels nous devons faire face […] »
Quelle est l’importance de l’éducation financière face à l’écoblanchiment ?
La sensibilisation des acteurs concernés et l’éducation en la matière restera donc aussi une des tendances clés de l’année 2024.
Pour investir dans un produit de finance durable, les investisseurs doivent avoir confiance dans ce secteur.
Et cette confiance se construit aussi par l’acquisition d’une bonne compréhension du sujet. Il est donc essentiel de faire de la formation une priorité et de la compréhension des enjeux une priorité.
La CSSF a joué son rôle dans ce domaine en faisant de la finance durable un des sujets centraux de son programme d’éducation financière. Une campagne d’information et un site dédié ont donc été conçus et lancés en début d’année 2023.
L’objectif est de contribuer à une meilleure compréhension du sujet, de sensibiliser les citoyens et de les inciter à questionner l’offre de produits existants. Par ailleurs, le site lëtzfin contient également une rubrique dédiée à la finance durable.
Quels sont les principaux risques concrets en matière de greenwashing pour les investisseurs tant institutionnels qu’individuels ?
Le phénomène d’écoblanchiment est complexe et multi-facette, et peut se manifester sous de multiples formes.
Pour les entités les plus exposées au risque d’écoblanchiment, les facteurs de mitigation vont logiquement devoir s’articuler autour de la fiabilité des données et une plus grande transparence vis-à-vis des investisseurs.
On peut citer par exemple la nécessité d’une plus grande transparence sur les méthodologies relatives aux données ESG, aux calculs d’estimatifs ou de scoring, voire la nécessité de mettre en place des contrôles internes et externes, en bref, tout ce qui devrait permettre aux investisseurs de prendre des décisions plus informées.
Il ne faut pas négliger non plus les risques réputationnels, voire les risques juridiques pour les entités concernées, surtout avec la sensibilisation accrue des investisseurs, mais aussi du grand public depuis quelques années.
Cependant, il ne faut pas oublier que le premier risque pour nous tous serait avant tout de ne pas réussir à répondre aux enjeux climatiques auxquels nous devons faire face pour mettre en œuvre les accords de Paris et faire de l’Union européenne la première économie et société neutre pour le climat d’ici 2050.