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« Le gérant de fortune externe doit devenir un chef d’orchestre »

Laurent Pellet de Lombard Odier évoque le rôle des external asset managers, leur évolution et l'importance du Luxembourg dans la stratégie de la banque.

Laurent Pellet, associé chez Lombard Odier et responsable de l’activité external asset managers du groupe suisse, était de passage au Luxembourg. Dans cette interview à Forbes Luxembourg, il explique cette activité stratégique au sein de la banque privée, le modèle multi-booking, mais aussi les évolutions et les défis de ce métier de gestionnaire de fortune externe.

Laurent Pellet, en quoi consiste votre activité dédiée aux “external asset managers” ?

Il s’agit de l’activité dédiée au sein du groupe aux gérants de fortune externes et multi family offices. On parle souvent d’external asset managers pour simplifier. Cette activité représente une part importante de notre métier, avec une clientèle exclusivement professionnelle, qui complète les clients finaux que nous gérons en direct.

Ne devrait-on pas plutôt parler d’external wealth managers, puisqu’il s’agit de conseillers en gestion de patrimoine et de Family Offices ?

C’est une question de terminologie qui dépend des différents marchés. En France, par exemple, les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) sont avant tout des asset managers et beaucoup moins des wealth managers. En revanche, au Luxembourg ou en Suisse, les gérants ont souvent une double casquette, soit une activité de gestion de fonds et une activité de gestion patrimoniale ou wealth management. Le choix du terme external asset manager s’explique donc par la variété des modèles. Certains gèrent exclusivement des portefeuilles sous mandat, tandis que d’autres structurent des fonds ou proposent des services plus étendus. Le terme “gérant indépendant” n’est plus forcément adéquat, car les nouvelles réglementations encadrent de plus en plus cette notion.

Qu’est-ce qui différencie l’offre de Lombard Odier de celle de ses concurrents pour cette activité ?

Cela fait environ 40 ans que nous avons développé cette activité pour laquelle nous avons construit une expertise spécifique. Nous employons environ 75 collaborateurs dédiés à cette clientèle à travers le monde, que ce soit en Asie (Singapour), en Europe (Luxembourg, Suisse), et au Moyen-Orient (Dubaï). Nous travaillons en partneriat avec plus de 400 gérants externes. Des outils technologiques performants nous permettent d’offrir un service sur mesure. Un avantage qui nous différencie est d’avoir développé notre propre système informatique, ce qui garantit une interface unique et homogène, même en cas de multi-booking sur plusieurs juridictions. Nous avons aussi mis en place une interconnexion avec les systèmes de gestion de portefeuilles utilisés par nos clients. Cela leur permet d’exécuter leurs ordres eux-mêmes, sans passer par la plateforme de chaque banque.

Comment a évolué le métier de gérant de fortune externe ces dernières années ?

Notre métier s’est profondément transformé. Avant, le gérant de fortune externe était souvent un homme-orchestre. Il jouait de tous les instruments, gérait à la fois la relation client, les investissements, l’administratif et la conformité. Il touchait à tout, mais sans nécessairement exceller dans chaque domaine. Aujourd’hui, le gérant de fortune externe doit devenir un chef d’orchestre. Il doit aller chercher les meilleurs musiciens pour en faire une symphonie. Son rôle est de coordonner les meilleurs experts, analystes, fiscalistes, spécialistes en private equity, juristes, pour répondre aux attentes de ses clients. Ce qui fait la différence, ce n’est plus seulement sa capacité à gérer des portefeuilles, mais aussi sa faculté à structurer une offre exhaustive et cohérente pour ses clients, en s’appuyant sur partenariats avec les banques dépositaires. A cette évolution majeure s’ajoute une demande croissante des clients pour des solutions d’investissement alternatives, notamment dans les actifs privés. Les gérants doivent donc repenser leur modèle et travailler avec des établissements capables de les accompagner sur ces nouveaux besoins.

Quels services leur fournissez-vous ?

Nous proposons des services bancaires (dépôt, exécution d’ordres, solutions technologiques), mais nous apportons aussi un accompagnement en matière d’ investissement. Nos gérants partenaires nous sollicitent pour identifier des opportunités de placement, que ce soit dans le private equity, les fonds spécialisés ou certains segments géographiques. Nous mettons à leur disposition notre recherche et nos recommandations, s’ils le souhaitent, mais la décision finale leur appartient, car ils restent les mandataires de leurs clients.

Quels sont aujourd’hui les principaux défis pour les gérants de fortune externes ?

Ils subissent en premier lieu une forte pression réglementaire qui augmente leurs coûts et impose souvent une refonte des modèles économiques. Beaucoup de gérants doivent simplifier leur structure et automatiser certains processus pour gagner en efficacité. Nous observons aussi un mouvement de consolidation silencieuse dans le secteur. Ces regroupements sont souvent liés à des problématiques de succession. De nombreux associés approchent l’âge de la retraite et doivent organiser la transmission de leur clientèle.

Quel impact aura la Retail Investment Strategy (RIS) de la Commission européenne sur leur modèle économique ?

C’est encore un projet, même s’il est en phase avancée. Certains experts estiment une mise en œuvre en 2026, avant une transposition dans chaque pays de l’Union européenne. Il est donc difficile de prédire l’impact exact du texte, notamment sur la question de leurs rémunérations et des rétrocessions. La RIS a déjà évolué par rapport aux premières versions, et elle pourra encore être modifiée. Ce que l’on sait, c’est que chaque pays adaptera sans doute la directive en fonction de ses spécificités. Il y aura donc des différences entre le Luxembourg, la France, la Belgique et les autres marchés.

Quelle est l’importance du marché luxembourgeois pour Lombard Odier ?

Le Luxembourg est un marché clé. L’activité des external asset managers y a connu une croissance significative ces dernières années en termes d’actifs sous gestion, et ce quand bien même le nombre d’EAM a été réduit. Selon l’Association des banques et banquiers de Luxembourg (ABBL), les gérants externes y gèrent environ 59 milliards d’euros d’actifs. Nous avons ouvert notre bureau luxembourgeois en 2018, avec une approche différenciante. Nous proposons un modèle multi-booking européen, qui permet d’ouvrir des comptes non seulement au Luxembourg, mais aussi en Belgique et en France, tout en assurant le service depuis notre équipe locale au Luxembourg. C’est un atout majeur, car de nombreux clients préfèrent déposer leurs avoirs dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, nous travaillons avec une quarantaine de gérants externes depuis le Luxembourg. Ils sont établis dans l’Union européenne, mais aussi au Royaume-Uni ou en Suisse

Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?

Nous voulons poursuivre cette dynamique de croissance, en renforçant notre offre technologique et en développant encore notre modèle multi-booking. Après Bruxelles et Paris, nous envisageons d’ajouter Madrid à notre dispositif.

Nicolas Raulot
Nicolas Raulothttps://finascope.fr/
Nicolas Raulot est journaliste et fondateur du média financier Finascope.fr. Il compte 20 ans d’expérience de la presse. Ses articles ont été publiés dans des médias français (La Tribune, L’Agefi), belge (L’Echo), luxembourgeois (Paperjam) et suisse (Le Temps). Son parcours journalistique a commencé en France en 2000 à l’Agefi avant d’être poursuivi à La Tribune jusqu’en 2008. Il a ensuite exercé son métier au Luxembourg où il est devenu rédacteur en chef de Paperjam.lu. Nicolas Raulot a aussi travaillé dans le secteur financier comme courtier sur le marché monétaire et comme responsable éditorial et relations presse. Il est diplômé de l’Institut Supérieur de Gestion (ISG), du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ) et de l’Université de Luxembourg (Master in Wealth Management). Nicolas Raulot est l’auteur de On a vendu la Bourse (Editions Economica, 2007).

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