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Le vote des étrangers, un enjeu de taille 

Le Luxembourg, marqué par une forte population étrangère, doit repenser sa représentation politique pour intégrer résidents et frontaliers malgré leur faible participation électorale.

Du fait de l’explosion démographique de ces dernières décennies et de la part très importante des étrangers dans la société luxembourgeoise, le Grand-Duché est confronté à une crise de la représentation politique. Les non-Luxembourgeois ont en effet peu de moyens de faire entendre leur voix. Une réforme des institutions paraît nécessaire. 

Avec les élections européennes de juin 2024, le Luxembourg a achevé sa « super-année électorale », avec pas moins de quatre scrutins en une année : élections communales en juin 2023, élections législatives en octobre 2023, élections syndicales en mars 2024 puis élections européennes en juin 2024.

Mais dans la société très cosmopolite du Luxembourg, le corps électoral appelé à voter varie très fortement d’un scrutin à l’autre. Et cette succession de votes aura mis en exergue la question sensible de la représentativité démocratique au Luxembourg. Car comment les résidents étrangers, qui comptent pour près de la moitié de la population du pays (318.000 pour 672.000 habitants, soit 47,3% du total), sont-ils représentés au sein des institutions politiques et, in fine, lors des élections ? Comment les 230.000 travailleurs frontaliers, qui représentent près de la moitié de la masse salariale du pays et qui contribuent donc pour une très grande part à sa richesse, ont-ils leur mot à dire sur des questions qui les impactent directement comme la sécurité sociale, les retraites ou les questions de mobilité ?

Pour les résidents étrangers, la question est, pour le moment, tranchée quant aux élections législatives. Le sujet a déjà fait débat par le passé, jusqu’à l’organisation d’un référendum en 2015 sur la question. La réponse des Luxembourgeois est alors sans ambiguïté : ils rejettent alors à près de 80% la proposition, écartant toute participation des résidents étrangers aux élections législatives dans un avenir proche et donc toute influence directe sur la politique nationale.

« Les résidents étrangers comptent pour près de la moitié de la population du pays. »

Les élections communales, un scrutin ouvert aux étrangers

La représentation des étrangers a en revanche évolué dans le cadre des élections communales. Depuis une réforme de 2022, le vote est ouvert à tous les résidents, quelle que soit leur nationalité, et ce dès leur arrivée sur le territoire de la commune (une clause de résidence de 5 ans existait auparavant). Une évolution qui a permis une augmentation notable des inscriptions : 50.000 résidents étrangers se sont inscrits sur les listes pour participer au vote en 2023, contre moins de 35.000 lors du scrutin précédent de 2017. Mais si, dans l’absolu, le nombre de participants a augmenté, le taux d’inscription des résidents étrangers reste cependant faible : seulement 19,8% se sont inscrits sur les listes pour les élections communales de 2023, soit moins d’un sur cinq.

Restent les 230.000 travailleurs frontaliers, qui n’ont qu’une opportunité de s’exprimer politiquement au Luxembourg : lors des élections syndicales. Celles-ci sont en effet ouvertes à tous les salariés, sans conditions de résidence ou de nationalité, et réunissent au Luxembourg le plus grand corps électoral, avec plus de 600.000 électeurs potentiels.

La Chambre des salariés, un « parlement du travail » unique

Une élection d’autant plus importante pour les frontaliers qu’elle est marquée par une spécificité toute luxembourgeoise : si un vote permet d’élire, de manière classique, les délégués du personnel dans les entreprises, un second scrutin élit en parallèle les membres d’une institution presque unique : la Chambre des salariés (CSL). 

Cette CSL, parfois appelée « parlement du travail », a un rôle non négligeable lors du processus législatif : non seulement elle peut déposer des propositions de loi, mais elle doit aussi être obligatoirement saisi pour rendre un avis sur tout projet de loi ou de règlement qui concerne directement ou indirectement les intérêts de ses ressortissants. Un avis qui, s’il n’est pas contraignant, peut avoir une forte influence, notamment en alimentant les débats à la Chambre des députés.

L’élection de la CSL mobilise peu

Mais, là encore, le paradoxe de ces élections est que, si elles offrent à certains une opportunité unique de s’exprimer politiquement, elles mobilisent peu. En 2024, le taux de participation n’a pas dépassé 34,4%, un score qui, s’il a connu un léger rebond par rapport au précédent scrutin (32,6% en 2019), reste faible.

En outre, la mobilisation des étrangers, et en particulier des frontaliers, est particulièrement faible : ainsi, en 2019, si la participation des Luxembourgeois a dépassé les 56%, elle n’a pas franchi la barre des 30% pour les résidents étrangers (26,8%) comme pour les frontaliers (23,7%).

D’autres tentatives pour intégrer les étrangers au Luxembourg existent, comme le Conseil supérieur du vivre-ensemble interculturel, qui a un rôle consultatif auprès du gouvernement. Or celui-ci est en partie élu par les commissions communales du vivre-ensemble interculturel, où, en plus des résidents, les travailleurs frontaliers de la commune luxembourgeoises où ils travaillent peuvent élire les membres et être eux-mêmes membres desdites commissions. Mais là encore les élections qui ont eu lieu en juillet dernier n’ont pas permis l’élection d’un seul frontalier au sein du conseil, faute de leur participation.

« Rien ne se fera sans un effort d’implication de la part des étrangers, tant résidents que frontaliers. »

Mieux informer les étrangers

Accorder le droit de vote n’est en effet qu’une donnée du problème. Il faut, en amont, informer massivement les électeurs étrangers potentiels, souvent peu au fait de leurs droits. Mais aussi les intégrer au débat public, qui reste parfois peu accessible aux étrangers, notamment du fait de la barrière de la langue. Les débats au sein de la Chambre des députés, s’ils sont publics, n’ont ainsi lieu qu’en langue luxembourgeoise et ne sont pas traduits. C’est aussi le cas au niveau des communes, où les étrangers bénéficient pourtant du droit de vote. La capitale du Grand-Duché, Luxembourg-ville, composée à 70% d’étrangers, refuse pour le moment de rendre publique une traduction des séances du conseil communal, et ce malgré la pression de l’opposition socialiste et écologiste.

D’aucuns appellent à ce qu’une réforme du système de représentation soit effectuée, alors que la composition sociologique du Luxembourg s’est radicalement transformée ces dernières décennies sous l’effet de l’explosion démographique à l’intérieur et de l’autre côté des frontières. Reste que rien ne se fera sans un effort d’implication de la part des étrangers, tant résidents que frontaliers.

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