Ernest Hemingway a dit un jour : « Mon seul regret dans la vie est de ne pas avoir bu plus de vin ». Partout dans le monde, les gens apprécient les saveurs et les plaisirs du vin. Pourtant, la viticulture a toujours été dominée par les hommes, reléguant souvent les femmes à des rôles de soutien.
Des changements culturels et sociologiques récents ont accru la reconnaissance et les opportunités pour les femmes dans l’industrie vinicole. Le Luxembourg a vu une augmentation du nombre de femmes dirigeantes dans les vignobles de la région de la Moselle. Nous avons dressé le profil de femmes leaders dans la communauté viticole locale, en discutant de leurs objectifs commerciaux et de leurs défis et opportunités dans une industrie orientée vers les hommes.
« Petit pays, grands vins ». Le slogan de Visit Luxembourg, qui vise à promouvoir la production et la culture viticoles du Grand-Duché, illustre les aspirations du pays et sa volonté de produire des vins de qualité. La région de la Moselle, située au sud-est du Luxembourg, offre une grande variété de vins, notamment des vins blancs, des vins rouges et des vins mousseux (également connus sous le nom de « Crémant »). Selon le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture, en 2023, les vignobles et les caves ont généré une valeur de production de 22 millions d’euros, ce qui correspond à environ 4 % de la valeur de production de l’agriculture dans son ensemble. Plus de 450 vignerons et producteurs d’une superficie de 1250 hectares opèrent le long des rives de la Moselle. Parmi eux, on trouve de plus en plus de femmes.
« En tant que femme, j’ai toujours eu le sentiment de devoir me battre un peu plus pour obtenir une place à la table. »
La durabilité, une nouvelle voie à suivre
Corinne Kox dirige l’exploitation viticole familiale L&R Kox à Remich. Elle supervise 10 hectares de vignobles avec 15 cépages différents, dont le riesling, le pinot gris et le pinot noir. Environ 50 % de la production de vin du vignoble se concentre sur le Crémant de Luxembourg, produit dans la cave depuis 1991. Depuis qu’elle a repris les rênes de ce vignoble historique, dont les racines remontent au 17e siècle, Corinne a dû travailler avec diligence pour gagner le respect et l’admiration dans le monde de la viticulture, traditionnellement dominé par les hommes : « Notre entreprise s’est construite sur des valeurs familiales plus traditionnelles et hiérarchiques. En tant que femme, j’ai toujours eu le sentiment de devoir me battre un peu plus pour obtenir une place à la table », témoigne Corinne Kox, directrice générale du Domaine L&R Kox.
Gravir les échelons au sein de l’entreprise familiale s’est parfois avéré difficile. Comparée à ses pairs masculins, Corinne a souvent eu le sentiment qu’elle devait travailler plus dur, faire preuve de plus d’enthousiasme et consacrer plus d’énergie pour obtenir le succès et la reconnaissance au sein de sa famille et de la communauté viticole luxembourgeoise.
Une partie des perspectives d’avenir de Corinne est de continuer à moderniser l’entreprise familiale, en passant d’une structure hiérarchique descendante à une configuration de leadership plus équitable et horizontale. Dans ce processus, Corinne a réorienté le vignoble vers l’innovation et la durabilité. Une partie de ce nouveau mouvement est ancrée dans la « vitiforesterie », une combinaison de viticulture et de sylviculture, qui consiste à planter des arbres au milieu des rangées de vignes afin de revitaliser le sol et de réduire les émissions de carbone. À l’avenir, le vignoble continuera à intégrer la durabilité économique, écologique et sociale dans ses activités quotidiennes.
« Quand on n’a pas peur de se salir les mains, on peut rapidement faire partie du monde viticole. »
Une approche naturelle de la viticulture
À 14 km de là, dans les collines d’Ehnen, Michèle Mannes est responsable du vignoble Viticole Häremillen, qui couvre une superficie de 15 hectares et produit environ 100 000 litres par an. La volonté de refléter le territoire local et de mettre en valeur sa riche variété de raisins est au cœur du modèle d’entreprise du vignoble. Michèle souligne que le succès de l’entreprise repose sur le travail, la passion et la détermination. Des valeurs profondément inscrites dans l’ADN du vignoble : « En tant que femme propriétaire d’un vignoble, j’ai eu du mal à m’installer dans un environnement de travail encore majoritairement masculin. Mais quand on est motivée pour travailler et qu’on n’a pas peur de se salir les mains, on peut rapidement faire partie du monde viticole », souligne Michèle Mannes, directrice générale du Domaine Viticole Häremillen.
La prédominance des hommes dans l’industrie viticole locale a été pour Michèle une source de motivation plutôt qu’un obstacle. Son ambition inébranlable et sa volonté de réussir ont fini par convaincre les viticulteurs établis qu’elle avait ce qu’il fallait pour diriger et gérer un vignoble. Sous la direction de Michèle, le domaine s’est engagé à travailler au plus près de la nature. Le vignoble est exempt à 100 % d’herbicides et utilise des moutons dans certaines parcelles pour gérer les herbes de manière plus naturelle et durable. L’approche de Michèle ne consiste pas seulement à produire du vin, mais aussi à faire prendre conscience de la complexité et de l’engagement de la vinification. Chaque bouteille de vin raconte l’histoire de son terroir unique, influencé par le sol, le climat et les efforts des producteurs.
La tradition et l’innovation au service de la viticulture
Martine Kohll et son mari, Frank Keyser, gèrent conjointement le vignoble Keyser-Kohll à Wormeldingen. Les responsabilités sont clairement définies. Martine s’occupe des clients, du marketing et de la présentation des vins, tandis que Frank supervise la vinification. Le vignoble présente un large éventail de cépages, dont l’auxerrois, le pinot blanc, le pinot gris, le riesling, le pinot noir et le saint-laurent. Le principal marché de distribution est le Luxembourg et des quantités plus limitées de vin sont exportées vers la Belgique, l’Allemagne et la région scandinave.
Martine et son mari apprécient la structure familiale de l’entreprise. Le vignoble honore l’héritage, la tradition et le dévouement à la viticulture. La qualité du vin et la satisfaction des clients sont les principales motivations et les moteurs de leur stratégie commerciale. Si Martine met l’accent sur les valeurs traditionnelles et familiales, elle prône également la diversité et l’innovation. Lorsqu’il s’agit de réussir dans le secteur du vin, elle ne considère pas que le fait d’être une femme soit problématique : « Malgré la nature historiquement dominée par les hommes de l’industrie du vin, je n’ai jamais eu l’impression de ne pas être à ma place. Au contraire, je suis fermement convaincue que les femmes peuvent introduire la diversité, l’innovation et le leadership dans ce domaine », raconte Martine Kohll, directrice générale du Domaine Keyser-Kohll.
Martine insiste sur l’importance d’établir des liens avec la population locale. La culture du vin est très répandue dans la région de la Moselle. C’est pourquoi l’entreprise viticole s’efforce de promouvoir son vin par le biais de différentes plateformes telles que les festivals du vin, les bars à vin et les dégustations de vin. Ces événements mettent en évidence l’aspect social de la consommation de vin, qui peut servir d’outil pour établir des relations, élargir les horizons expérientiels des gens et favoriser une appréciation plus profonde des traditions viticoles locales.
Encourager les femmes entrepreneurs dans le domaine du vin
L’année dernière, Carole Bentz a repris les rênes du Domaine Claude Bentz. L’entreprise familiale possède l’une des plus grandes surfaces viticoles indépendantes de la région, qui s’étend de Remich à Schengen et couvre une superficie totale d’environ 18 hectares. Le vignoble est complété par une longue liste de vins de qualité, dont l’Elbling, le Rivaner, l’Auxerrois, le Pinot Blanc, le Riesling, le Pinot Gris, le Gewürztraminer, le Pinot Noir Rosé et le Chardonnay.
Carole se sent encouragée par le nombre croissant de femmes viticultrices et chefs de culture dans l’industrie vinicole locale. Elle souligne la nécessité pour les femmes entrepreneurs de continuer à franchir les barrières et à s’impliquer dans la production et la distribution du vin local : « Ces dernières années, plusieurs femmes ont rejoint l’entreprise familiale. Elles ont repris ou vont reprendre une partie de l’entreprise. Les femmes sont tout aussi capables de diriger une exploitation viticole qu’un homme », affirme Carole Bentz, directrice générale du Domaine Claude Bentz
Sous la direction de Carole, le domaine a considérablement accru ses efforts pour investir dans des sols de meilleure qualité et plus riches en biodiversité, afin d’améliorer la résistance aux agents pathogènes et la saveur du vin. Le domaine a également ajouté un nouveau bâtiment qui s’intègre parfaitement à l’architecture moderne et au parc naturel d’un hectare qui l’entoure. Ce dernier bâtiment offre des espaces privés pour les événements et les dégustations de vin, offrant aux clients une expérience unique et immersive.
Pionnière de l’importation moderne de vin
Charline Wengler n’a pas le profil d’un propriétaire de vignoble traditionnel. Avec son père, Gérard Wengler, elle dirige une entreprise d’importation de vins qui travaille en étroite collaboration avec des viticulteurs et des producteurs du monde entier. Le portefeuille de l’entreprise offre une sélection unique de plus de 1700 vins provenant de 27 pays et de 56 régions viticoles. La mission première de Caves Wengler est d’améliorer l’accessibilité à des expériences de consommation contemporaines et de haute qualité au Luxembourg et de permettre aux clients de s’immerger dans le monde du vin.
Charline n’adhère pas aux attentes traditionnelles de l’industrie du vin. Elle souhaite transcender les préjugés au sein de la communauté et engager un dialogue authentique sur la dégustation et l’appréciation du vin : « Je m’engage à apporter une perspective moderne et authentique à l’industrie du vin. Cet engagement s’étend à la fois au développement du portefeuille et aux stratégies de communication », precise Charline Wengler, directrice de la création et associée gérante de Caves Wengler.
Le succès de l’entreprise repose en partie sur la simplicité et la facilité de son message. L’objectif principal n’est pas de vendre du vin à tout prix, mais de fournir des produits et des services qui suscitent des émotions et créent des expériences mémorables autour du vin. Charline dirige les efforts de l’entreprise pour établir des liens avec la communauté locale des dégustateurs de vin par le biais de divers événements et initiatives, en favorisant un sentiment d’appartenance à la communauté et en offrant des expériences intimes et éducatives, ce qui permet de mieux apprécier l’art de la vinification.
Moderne, innovant, durable
Le Grand-Duché de Luxembourg entre dans une nouvelle ère de production et de distribution du vin. Les femmes leaders sont de plus en plus visibles dans les processus décisionnels des vignobles locaux. Des structures de gestion plus modernes, innovantes et équitables remplacent les normes traditionnelles, non flexibles et archaïques. Ce changement de paradigme et l’insurrection des femmes vigneronnes ont conduit à de nouvelles approches et à de nouveaux cadres sur la manière de diriger avec succès les vignobles, allant des efforts accrus pour promouvoir des méthodes durables de production de vin à l’élévation du rôle de la nature dans la viticulture et à l’engagement avec les clients à un niveau plus profond et plus personnel.
« Lorsqu’il s’agit de prédire l’avenir, on pourrait dire que le verre de vin est à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. »
Les viticultrices apportent des perspectives uniques et des approches créatives, mêlant souvent des techniques traditionnelles à des technologies modernes. Cette nouvelle dynamique a le potentiel de revigorer la scène viticole locale, d’attirer un public plus large et de susciter un plus grand intérêt international pour les vins luxembourgeois. Lorsqu’il s’agit de prédire l’avenir, on pourrait dire que le verre de vin est à moitié plein plutôt qu’à moitié vide !
Cet article est paru dans la seconde édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!