Poussé par l’UE et l’OCDE, le Grand-Duché ne dispose toujours pas d’un système de contrôle préalable des rapprochements entre grands groupes. La loi proposée fait l’objet d’un vif débat politique. Et les milieux industriels y opposent quelques objections.
Dans un communiqué de presse de juillet 2023, Franz Fayot le ministre de l’Économie de l’époque annonçait l’introduction en droit luxembourgeois d’un projet de loi instaurant un régime de contrôle des concentrations entre entreprises.
L’objectif : contrôler avant leur réalisation, les rapprochements de sociétés pouvant avoir un effet restrictif sur la concurrence.
« Si la plupart de ces rapprochements – acquisitions, fusions ou créations d’entreprises communes – sont bénéfiques pour l’économie, certaines opérations peuvent en revanche affecter la concurrence, » précisait le communiqué.
« Un tel contrôle offre en outre de la prévisibilité et de la sécurité juridique aux entreprises prenant part à l’opération de concentration et permet aux tiers de faire valoir leurs points de vue. »
L’Autorité de concurrence est chargée de cette vérification préalable.
« Le Luxembourg reste le dernier des États membres de l’UE à ne pas disposer d’un système de contrôle préalable des concentrations. »
Concrètement, le texte prévoit une notification obligatoire du rapprochement lorsque d’une part, les entreprises concernées réalisent ensemble au Luxembourg un chiffre d’affaires agrégé supérieur à 60 millions d’euros.
Et d’autre part, quand au moins deux des entreprises impactées génèrent individuellement au Luxembourg un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros.
La notification sera ensuite publiée pendant 25 jours ouvrables, les tiers pouvant ainsi donner leurs avis. En attendant l’accord de l’Autorité, l’opération de rapprochement sera suspendue. Pour des rapprochements en cours, l’Autorité pourra également s’auto-saisir et analyser l’opération avant de l’interdire ou de l’autoriser.
Pour Jean-François Findling, Managing Partner chez Baker McKenzie Luxembourg, le texte fait l’objet d’un vif débat politique et industriel et suscite encore des résistances.
Jean-François Findling, où en est-on dans la mise en place effective du texte ?
Le Luxembourg reste le dernier des États membres de l’UE à ne pas disposer d’un système de contrôle préalable des concentrations.
Mais malgré une pression européenne pour une législation dans ce sens, le sujet fait actuellement l’objet de discussions quant à son opportunité et aux différents critères de contrôle ; les milieux politiques et industriels y opposent également quelques résistances.
Le contrôle des concentrations est en effet un sujet sensible : les spécificités du Luxembourg, notamment son petit territoire, la taille du marché local au plein centre du marché unique européen, et l’influence de la concurrence régionale voire internationale compliquent l’adoption d’un régime de contrôle des concentrations similaires à celui des autres Etats membres de l’UE.
Tout l’enjeu est d’établir un système national de contrôle des concentrations adapté aux spécificités de l’économie nationale afin de maintenir un marché dynamique et compétitif tout en protégeant l’économie luxembourgeoise.
Ce qui explique ces résistances au texte. Toutefois, la loi verra probablement le jour l’année prochaine.
Pourquoi la thématique émerge-t-elle actuellement ?
Le Luxembourg est le seul Etat de l’UE sans règles de contrôle des concentrations, ce que l’OCDE a critiqué dans ses études économiques de 2022. En réponse, ce projet de loi a été développé suite au mandat du Conseil de Gouvernement de juillet 2021, impliquant un groupe de travail interministériel et des consultations avec des autorités nationales et européennes de concurrence.
Le dépôt du projet de loi sur le contrôle préalable des concentrations est intervenu concomitamment avec l’entrée en vigueur de la loi FDI du 14 juillet 2023 portant mise en place d’un mécanisme de filtrage national des investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public.
Le texte intervient à l’issue d’une période d’une grande ouverture des économies européennes aux investisseurs du monde entier et notamment asiatiques qui ont cherché et cherchent encore à mettre la main sur un certain nombre d’actifs d’infrastructure, que ce soit dans une logique purement financière ou politique.
Aujourd’hui, il existe en Europe une prise de conscience qu’il faut protéger son tissu industriel stratégique. Cette réglementation vise donc avant tout les investisseurs non européens.
Concrètement, si un groupe allemand possédant une filiale industrielle au Luxembourg – avec des emplois, des activités, un budget, etc. – fait l’objet d’une offre de rachat par un groupe extra-européen, et si les critères de chiffres d’affaires nécessitent une notification préalable, l’Autorité de contrôle luxembourgeoise devra analyser et approuver le projet.
Inversement, si une société luxembourgeoise détenant des actifs stratégiques en Espagne est ciblée par des acquéreurs non UE, l’instance de contrôle espagnole devra analyser et approuver le deal.
Et si l’activité ciblée est exercée dans plusieurs pays de l’UE, ceux-ci devront demander les autorisations dans chacune des juridictions concernées.
Cela change donc la donne sur les deals, pour lesquels il faut désormais réunir un certain nombre d’accords préalables.
« Ces deux dernières années, le nombre des transactions et actifs à vendre ayant diminué, beaucoup de liquidités disponibles sur le marché ne demandent qu’à être investies, ce qui place les vendeurs en position de force. »
Quelles sont les tendances actuelles dans le domaine des fusions-acquisitions au Luxembourg ?
Ces 12 derniers mois le marché international a globalement connu un repli du nombre de fusions-acquisitions dans le domaine du private equity, mais aussi chez les acteurs stratégiques industriels, qui sont en position attentiste par rapport aux valorisations des entreprises.
Au Luxembourg, l’industrie financière devrait connaître un mouvement de rapprochements et de consolidation bancaire, du fait d’une grande abondance de réglementations, qui rendent la situation difficilement supportable pour tous les acteurs, notamment les petites banques et assets managers.
Seule une entité de grande taille peut absorber tous ces types de coûts occasionnés par la digitalisation et ces nombreuses obligations réglementaires.
On peut donc imaginer un certain nombre de rapprochements entre acteurs, la tendance générale actuelle étant aux rachats de portefeuilles.
Par ailleurs, une autre tendance émerge, dans le processus même des opérations de transaction cette fois. Du fait de la pénurie d’actifs à acquérir sur le marché, les vendeurs sont aujourd’hui en position de force, tandis que les acquéreurs ne sont plus en mesure comme autrefois d’exiger des garanties maximales avant la signature du deal.
Aussi, le vendeur qui souhaite protéger sa position peut désormais refuser de donner certaines garanties et indemnités à l’acquéreur. Il exige alors que ce dernier s’assure lui-même pour les garanties qu’il demande, via le produit d’assurance Warranties and Indemnities (« W&I »).
Comment expliquez-vous ce retournement de tendances sur ce marché ?
Ces deux dernières années, le nombre des transactions et actifs à vendre ayant diminué, beaucoup de liquidités disponibles sur le marché ne demandent qu’à être investies, ce qui place les vendeurs en position de force.
Ceux-ci souhaitent éviter l’aléa judiciaire et le risque financier qui y est lié mais aussi les coûts et le temps qui doit être passé à gérer tous les contentieux avec l’acquéreur.
Dans un secteur en crise comme la construction, peut-on s’attendre à des fusions ou des acquisitions ?
La logique des investisseurs professionnels est d’acheter avec de la dette bancaire. Mais, dans un marché où le coût de cette dette est élevé et n’est plus sous contrôle, beaucoup d’acteurs sont à bout de souffle voire étouffés.
Certains promoteurs immobiliers sont ainsi obligés de vendre des immeubles, pour générer des liquidités. D’autres n’arrivant pas à écouler leurs biens, doivent eux aussi vendre à un prix plus bas.
Seuls les acteurs qui investissent à long terme, qui ont encore des réserves de trésorerie y trouveront là des opportunités de rachat d’actifs à moindre prix.