Pour Christopher Dembik, Conseiller en stratégie d’investissement pour la France, la Belgique et le Luxembourg chez Pictet Asset Management, le marché boursier américain offre de nombreux atouts pour attirer les investisseurs. Explications.
Christopher Dembik, quelles sont selon vous les grandes tendances actuelles du marché boursier américain ?
Nous constatons aujourd’hui une lame de fond en faveur du marché US. Celle-ci est portée par des indicateurs, comme celui de la productivité américaine, qui augmente très fortement depuis plusieurs trimestres.
Et qui valident notamment la stratégie de relocalisation amorcée par l’Administration Trump et mise en place par l’Administration Biden.
Du point de vue de l’investisseur, c’est un argument massue en faveur du marché boursier américain.
D’autant que la productivité en zone euro, et plus globalement en Europe, ne cesse de diminuer ; tandis que dans le reste du monde elle est également très loin d’être très positive.
En termes d’arbitrage, les investisseurs se tournent donc tout naturellement vers le marché US.
L’autre élément majeur ce sont les rachats d’actions aux États-Unis, qui depuis plusieurs années poussent le marché américain à la hausse.
Tout cela fait donc que les marchés US sont indéniablement incontournables, peu importe d’ailleurs leurs niveaux de valorisation.
Dans ce contexte, nous restons convaincus que le segment Tech, tiré entre autres par les Sept Magnifiques, continuera à accaparer la majorité des flux de capitaux et à générer la majeure partie de la performance.
Cette tendance est-elle selon vous appelée à durer ?
La situation actuelle est un peu comparable à celle des années 90 où quelques valeurs comme Intel accaparaient la majorité des flux. Une telle segmentation du marché n’est donc pas nouvelle.
Et elle pourrait selon nous encore durer ; car elle est adossée à une lame de fond en termes technologiques, avec un prix de l’innovation côté américain encore assez élevé.
D’autant que ces entreprises ont du cash, dans un contexte où l’argent reste actuellement beaucoup plus cher.
Elles ont surtout une capacité à mettre en place des barrières à l’entrée qui sont significatives. Ce qui induit depuis plusieurs années une baisse très importante des introductions en bourse aux États-Unis.
Ceci est en partie lié au fait que les entreprises Tech achètent toutes les start-ups avant leur introduction en bourse, ce qui leur permet à la fois de réduire la concurrence et d’acquérir de la technologie.
Nous avons donc un marché boursier avec beaucoup de valeurs certes, mais avec avant tout des valeurs hégémoniques qui sont en mesure réduire la concurrence.
« Une diminution du taux même faible, liée à une croissance américaine soutenue, constitue d’ailleurs un scénario très favorable à la classe d’actifs du High-Yield, avec un risque réduits de taux de défauts. »
Quels sont selon vous les impacts de la baisse attendue des taux d’intérêt : à la fois sur la productivité US et sur les stratégies d’allocation des investissements.
C’est vrai qu’historiquement une baisse de taux crée un avantage pour une myriade de segments d’activité. À l’exemple des Small & Mid-Caps qui performent plus dans un tel contexte.
Nous considérons toutefois que le cycle actuel de baisse diffère des précédents. Pour cette année d’ailleurs, nous écartons le scénario d’une diminution des taux à 150 160 points de base. Car nous observons des baisses de 25 points de base au maximum.
Deux éléments manquent en effet pour que la Fed et même la BCE réduisent leurs taux : tout d’abord, il n’y a pas de récession aux États-Unis. Et il y assez peu de débats à cet égard.
Alors que nous voyons un acquis de croissance déjà de 1,2% cette année. D’ailleurs, le marché ne cesse de revoir à la hausse ses prévisions de croissance pour l’économie américaine.
L’autre élément manquant est l’inflation : bien évidemment le processus de désinflation est bien enclenché, il n’y a pas de doute à cet égard. En revanche, l’objectif des 2% d’inflation reste encore loin d’être atteint.
Nous pensons donc que cette baisse des taux attendue ne produira pas de changement complet de paradigme sur le marché. Une diminution du taux même faible, liée à une croissance américaine soutenue, constitue d’ailleurs un scénario très favorable à la classe d’actifs du High-Yield, avec un risque réduits de taux de défauts.
Rien qu’en janvier dernier, les entreprises américaines ont levé 150 milliards de dollars sur ce segment. Nous sommes certes encore loin des chiffres de 2019, mais les conditions de marché restent favorables sans accident, ce qui est un signal plutôt positif.
Dans quels secteurs voyez-vous ces réindustrialisations et quels en seront les bénéfices concrets pour le pays ?
Les Américains ont été plus intelligents que d’autres pays : ils ont mis en place des relocalisations ricardiennes, c’est-à-dire basées sur des avantages comparatifs, dont les plus simples sont les subventions.
Les Administrations Trump et Biden ont parfaitement compris que certains segments considérés comme stratégiques devaient être subventionnés sur le très long terme. Cela concerne à la fois le processus de relocalisation, mais aussi le maintien des activités en l’état sur leur territoire.
On le voit déjà sur le segment des semi-conducteurs, sur les Tech et notamment sur la donnée, mais aussi sur le secteur manufacturier. Sur ce dernier segment, si Trump est élu, le mouvement de relocalisation s’accentuera.
Les relocalisations financées par des subventions publiques sont en général considérées comme du gaspillage. La réalité est qu’elles se traduisent ici par des créations soutenues d’emplois durables. Ainsi, l’économie américaine génère aujourd’hui des emplois industriels à un rythme assez élevé, sur un niveau de gamme important et sur des sujets stratégiques, pour le plus grand bénéfice du pays.
Quelles seront les implications des élections américaines et des résultats électoraux, sur l’économie US ?
Ce n’est plus un sujet aujourd’hui. Il y aura certes un renforcement de la réglementation, sans toutefois aller jusqu’aux lois antitrust, qui elles auraient un réel impact négatif sur le secteur.
Pour nous, il n’y aura donc pas de changement fondamental ; la réalité étant que les États-Unis, peu importe leur Président, sont engagés dans un conflit commercial et politique avec la Chine : ils ont donc besoin de ces High Tech.
La transition énergétique sera cependant l’élément à surveiller : Trump étant plus favorable aux énergies fossiles que Biden, même si ce dernier reste pragmatique. Le processus ne sera toutefois pas remis en cause, car la transition est du ressort des États plutôt que du gouvernement fédéral.
Quelles seront les conséquences de ces perspectives économiques et financières US pour le Luxembourg ?
Face à ces flux qui restent accaparés par les grandes économies notamment américaine, le Luxembourg doit emprunter à des taux parfois un peu plus élevés, alors que ses fondamentaux économiques et financiers sont extrêmement bons.
Ceci s’explique certainement par la très petite taille de son marché, qui attire moins d’investisseurs. Mais aussi par sa faible visibilité à l’égard notamment de ces grandes économies.
Et ce, en sachant qu’aujourd’hui face à l’absence de liquidités, les investisseurs recherchent moins la diversification, et font plutôt preuve de suivisme en optant pour les principaux marchés américains. Ce qui explique notamment les taux d’emprunt plus élevés du Luxembourg.