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Petit précis de gastrodiplomatie avec Franck Panier

Être chef pour la famille royale luxembourgeoise allie rigueur, créativité et gastrodiplomatie, avec une attention méticuleuse à la qualité, aux préférences et aux relations internationales.

Être responsable du contenu des assiettes de la famille royale n’est pas une mince affaire. Cela peut s’accompagner de stress, mais aussi de la possibilité d’ouvrir la voie à de bonnes relations grâce à ce que l’on appelle la « gastrodiplomatie ».

Travailler pour la famille royale, et en particulier en cuisine, signifie faire partie d’un monde différent, caractérisé par une organisation méticuleuse, des normes élevées et, parfois, le fait de servir de grands groupes de fonctionnaires de haut rang. Il y a cependant une caractéristique de cette fonction qui est tout à fait ordinaire. Comme tout fonctionnaire, le chef du grand-duc et ceux qui travaillent en cuisine sont limités à une semaine de 40 heures, ce que beaucoup de leurs collègues du secteur de la restauration pourraient leur envier. L’exception à cette règle est constituée par les visites d’État, au cours desquelles le personnel de cuisine peut travailler de 10 à 12 heures par jour.

Dans l’ensemble, les horaires des membres de la famille royale et de ceux qui préparent leurs repas sont liés, tout comme leurs lieux de travail. Le château de Berg est la résidence principale du grand-duc et le palais grand-ducal est son lieu de travail. Le domaine de Fischbach, qui fait partie du canton de Mersch, est la résidence du prince Guillaume, grand-duc héréditaire de Luxembourg, et de la princesse Stéphanie. C’est dans ces trois domaines que le chef du grand-duc, Franck Panier, dispose d’une équipe sous sa direction. Le Français, qui occupe ce poste depuis 15 ans, admet que son travail et celui d’un restaurant sont très différents. « Vous devez préparer des plats pour les mêmes personnes tous les jours. C’est la plus grande différence. En tant que chef cuisinier, vous avez votre cuisine, et la famille royale, comme tout le monde, a ses préférences. Il faut environ deux ans pour s’habituer l’un à l’autre et établir la confiance. Car il y a une certaine rigueur. La santé de Leurs Altesses Royales dépend aussi de leurs assiettes. C’est important », précise Franck Panier.

« La santé de Leurs Altesses Royales dépend aussi de leurs assiettes. »

Une bonne dose de liberté

En même temps, Franck Panier souligne qu’il jouit d’une grande liberté lorsqu’il élabore le menu de chaque semaine. Il le fait sept jours à l’avance et, pendant tout ce temps, le chef de cuisine est en contact direct avec les membres de la famille royale. Bien qu’ils aient un penchant pour la cuisine asiatique et méditerranéenne, ils ont tendance à être ouverts à tous les types de cuisine, selon le chef. « Nous essayons de mélanger les cuisines française et luxembourgeoise. Nous travaillons autant que possible en circuit fermé, c’est-à-dire avec un maximum de produits biologiques et luxembourgeois. J’ai une liste de fournisseurs officiels et privés, et je donne la priorité aux fournisseurs locaux. Les fournisseurs sont ravis de travailler pour un chef d’État. C’est prestigieux pour eux », explique-t-il. Les produits locaux sont complétés par un jardin privé au château de Berg, qui alimente la cuisine en légumes et en herbes aromatiques.

Accueillir des invités de marque

Si l’alimentation quotidienne de la famille grand-ducale est le pain et le beurre de Franck Panier, les événements tels que les visites d’État sont l’occasion de mettre à l’épreuve ses talents d’organisateur et de cuisinier. Il les qualifie de « projets » pour lesquels la préparation commence trois mois à l’avance. Des détails tels que les allergies potentielles des invités ou leurs préférences sont pris en considération avant de commencer à travailler sur le menu. Une fois la première ébauche créée, Franck Panier et son équipe préparent l’ensemble des assiettes pour tester la cuisson et le service. Il s’agit d’une sorte de répétition pour le déjeuner ou le dîner de la visite d’État au palais grand-ducal, où les plats sont servis à l’anglaise. Cela signifie que tout est présenté dans des assiettes et que les invités se servent eux-mêmes. « Je fais une sélection de menus que je connais bien. En effet, nous n’avons pas le droit à l’erreur. C’est un travail bilatéral avec la direction. Une fois que les menus sont fixés, c’est le fil conducteur », explique M. Panier.

En repensant à ses 15 années passées à la cour grand-ducale et aux centaines d’événements qu’il a organisés, le chef français souligne que la rigueur est la leçon la plus importante qu’il a apprise. Son personnel et lui ont dû « réapprendre à goûter » les aliments et à vérifier que l’assaisonnement était bon. Quand on est dans le métier depuis si longtemps, on fait confiance à ses compétences, et le personnel de cuisine peut envoyer les plats à l’étage par réflexe, sans vérifier. C’est pourquoi il est absolument nécessaire de respecter les règles de base à chaque fois. La rigueur est également de mise le jour de la visite d’État, en raison de l’horaire serré auquel ces événements sont soumis. En règle générale, le déjeuner commence à 13h15 avec une entrée, un plat principal et un dessert. Cet horaire doit être respecté et, en cas de changement, la cuisine peut être amenée à rattraper du temps pour que tout se passe bien.

« La mise en place est stressante, mais le jour de l’événement, tout est bien calculé et bien organisé », révèle Franck Panier. Lorsqu’il s’agit d’un événement important, comme une visite de 150 à 200 personnes, il fait également appel à des employés en poste ailleurs pour venir donner un coup de main. L’image d’un chef cuisinier à l’ancienne hurlant sur ses subordonnés n’est pas du tout présente dans la cuisine grand-ducale. Le chef opte plutôt pour un style qui s’appuie fortement sur la communication et la structure. « Je dis toujours à mes collègues et aux personnes que j’engage pour un événement : ‘Je vous interdis d’être stressés’, c’est moi qui gère le stress. Je suis le chef d’orchestre », explique-t-il. « Je suis habitué au stress, et s’il n’y a pas de stress, cela signifie pour moi qu’il n’y a pas eu de défi, et je ne suis pas satisfait. C’est trop facile. »

« L’Élysée n’est pas la cour grand-ducale, pas plus que Buckingham. Mais chacun a sa propre structure et se situe au même niveau. »

Les bases d’une bonne négociation

Dans le même temps, des événements imprévus peuvent survenir. Franck Panier se souvient d’une panne d’électricité survenue lors d’un événement officiel important. Cela a eu un impact direct sur la logistique et le respect du calendrier. La cour grand-ducale était accueillie au palais, ce qui a compliqué le transport des denrées alimentaires sur plusieurs étages. De tels contretemps peuvent affecter l’expérience des invités et, par conséquent, les discussions entre eux et le grand-duc. La gastrodiplomatie joue un rôle important dans le graissage des rouages de ces négociations. Le chef rappelle une citation du négociateur français en chef au Congrès de Vienne, Charles Maurice de Talleyrand-Périgord : « Donnez-moi de bons cuisiniers, et je vous donnerai un bon traité ».  Pour Franck Panier, c’est la charte de la gastrodiplomatie. Les délégations qui reviennent au Grand-Duché peuvent se souvenir d’une expérience positive dans le passé, ce qui joue en faveur du bon déroulement des choses.

Un réseau culinaire d’élite

Franck Panier a un moyen de s’assurer que lui et son équipe sont préparés de la meilleure façon possible pour une visite d’État. Il fait partie du club des chefs d’État. Ce réseau de haut niveau se réunit régulièrement pour échanger des recettes, promouvoir la cuisine nationale de chaque pays et améliorer les relations entre ses membres. Ces échanges sont particulièrement utiles avant une visite, Franck Panier prenant souvent contact avec le chef de cuisine du chef d’État du pays visité pour s’enquérir de ses préférences ou de ses allergies. Cela va dans les deux sens, puisque d’autres chefs cuisiniers contactent également M. Panier. Il se souvient que le chef du palais de Buckingham, Mark Flanagan, l’avait contacté avant la visite du grand-duc et de la grande-duchesse à l’occasion du 70e anniversaire du prince de Galles de l’époque, Charles III. Le respect qui semble régner entre les membres du club permet de tirer le meilleur parti de l’appartenance à ce réseau d’élite. « L’Élysée n’est pas la cour grand-ducale, pas plus que Buckingham. Mais chacun a sa propre structure et se situe au même niveau. C’est là que réside la force du club », précise le chef, Franck Panier.

Teodor Georgiev
Teodor Georgiev
Passionné de journalisme depuis son plus jeune âge, Teodor Georgiev s'est spécialisé dans le développement durable et la culture des expatriés après avoir fait ses premiers pas dans le monde des médias luxembourgeois. Ses articles offrent au lecteur une compréhension approfondie du sujet. Soucieux d'établir des liens durables avec des personnes de tous horizons, Teodor met souvent en lumière des histoires moins connues sur des personnes et des projets entrepreneuriaux.

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