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Un souffle créatif dans les entreprises

Les collections d'entreprise offrent une plateforme aux artistes et apportent une valeur artistique aux collaborateurs. Et même si le monde de l'entreprise ne comblera pas à lui seul les lacunes de l'écosystème créatif, il peut servir d'exemple pour réunir le meilleur des deux mondes.

Les collections d’entreprise ont tendance à passer inaperçues, pourtant elles offrent une plateforme pour la créativité artistique. Et pour les collaborateurs, qui font partie d’un environnement professionnel caractérisé par la rigueur, une perspective différente peut être rafraîchissante.

Il peut être courant de penser que le monde de l’entreprise et celui de l’art se heurtent plutôt qu’ils ne se mélangent. Et dans de nombreux cas, c’est vrai. Mais lorsqu’ils s’unissent avec succès, c’est grâce à une appréciation venant de l’entreprise, ou du moins, à une initiative réfléchie de sa part. Philippe Dupont, associé fondateur du cabinet Arendt & Medernach et collectionneur passionné de photographie, est à l’origine du lancement de la collection de photographie contemporaine du cabinet d’avocats. Il s’est adressé à Paul di Felice, artiste, critique d’art et curateur d’exposition, qui supervise le projet depuis sa genèse.

La particularité de la collection du cabinet d’avocats est qu’elle n’est constituée que de photographies, un médium qui, pendant longtemps, n’a malheureusement pas joui du même statut que les médiums traditionnels, comme la peinture, par exemple. « Les pièces sont exposées dans les locaux du cabinet d’avocats dans le cadre d’expositions temporaires pendant six mois avant que l’on décide laquelle fera partie de la collection permanente. Il ne s’agit pas seulement d’investir dans l’art ou la photographie, mais aussi de voir qui sont les photographes les plus importants aujourd’hui. Il s’agit en fait de savoir ce que les photographes émergents et célèbres nous disent sur notre société », explique Paul Di Felice, conservateur de la collection.

« Il ne s’agit pas nécessairement d’impressionner par la valeur des œuvres, mais de montrer que leur propriétaire possède des connaissances culturelles. »

Les avantages de la collection

L’existence d’une collection d’entreprise est incontestablement alimentée par un intérêt pour le monde de la création, mais il existe d’autres motivations qu’il ne faut pas négliger. D’une manière générale, les dons aux musées sont déductibles des impôts. Au Luxembourg, cette déduction est plafonnée à 20 % du revenu net, soit jusqu’à 1 million d’euros. Émerge également l’idée que l’appréciation d’œuvres d’art coûteuses fait partie de la culture. Il ne s’agit pas nécessairement d’impressionner par l’argent, mais de montrer que le propriétaire de l’œuvre possède des connaissances culturelles. Ce sont des signaux que les professionnels du secteur comprennent, souligne Roman Kräussl, anciennement professeur à l’Université du Luxembourg, actuellement à la Bayes Business School de Londres et à l’université de Stanford. « Si vous dirigez une agence de lutte contre les discriminations, la seule chose que vous ferez sera bien sûr Black Lives Matter ou au moins une œuvre d’art créée par une femme. Vous ne mettez pas un Andy Warhol, ce que tout le monde peut faire », témoigne le professeur, spécialisé dans la finance et l’art. Lors de la réouverture de sa galerie Am Tunnel, Spuerkeess a mis en place une exposition de Gilliane Warzee, mettant à l’honneur les femmes, ce que la banque n’a pas manqué de souligner.

Si les artistes intéressés par les collections d’entreprises ne manquent pas, aucune raison précise pour laquelle les créatifs affluent vers les entreprises n’émerge. « Certains artistes pensent qu’une fois qu’ils sont achetés par une collection d’entreprise, ils sont exposés en permanence. Le ferais-je si je suis vraiment bon et si j’ai un potentiel commercial important ? Non. Le ferais-je si je suis très mauvais ? Bien sûr, mais ils ont aussi envie de créer », explique M. Kräussl. Ce désir de faire de l’art n’est pas affecté par la façon dont le résultat final sera exposé ou s’il atteindra les gens, souligne l’universitaire.

Des photos qui accueillent les gens

Bien entendu, lorsqu’une entreprise expose sa collection dans ses locaux, ce sont les collaborateurs qui passent le plus de temps avec les œuvres. Chez Arendt, on trouve des photos dans les salles de conférence et dans les couloirs. C’est également une décision délibérée que d’avoir des images de paysages dans les salles de réunion et des photographies représentant des personnes dans les couloirs. C’est le résultat de tests et d’ajustements effectués par le curateur de la collection. « Les portraits se situent à l’extérieur des salles de réunion. Ce sont ces mêmes visages qui accueillent nos visiteurs », insiste Paul di Felice. Certains collaborateurs ont également développé une préférence pour certaines salles en raison des œuvres d’art qui en ornent les murs et les demandent expressément. Les visites guidées pour les collaborateurs, au cours desquelles le curateur ou les artistes partagent le contexte des photographies, sont également un moyen de mesurer leurs préférences et d’observer l’impact des œuvres sur ces derniers. Des pages web dédiées, des interviews avec des artistes et des livres d’art qui leur sont dédiés complètent les efforts du cabinet d’avocats pour amplifier l’expérience de ses collaborateurs.

« Le meilleur reste peut-être à venir pour la scène artistique luxembourgeoise. »

Chez Arendt, les expositions temporaires biannuelles, présentes au rez-de-chaussée, peuvent être visitées librement le weekend. D’autres entreprises collectionneuses, comme Spuerkeess par exemple, ont également mis leurs pièces à la disposition du grand public. Toutefois, la question se pose de savoir si les entreprises exploitent le potentiel de leurs « programmes d’art ». Pour Roman Kräussl, les responsables d’une collection d’entreprise au Luxembourg peuvent faire plus : « Ils devraient l’ouvrir aux étudiants, organiser des cours pour les lycéens et des réunions pour encourager la créativité ». Arendt parraine un prix pour le meilleur photographe prometteur lors du Mois européen de la photographie (EMOP). La BEI dispose également d’un programme de développement des artistes dont la portée est internationale. Mais Roman Kräussl a l’impression que les événements annuels ne suffisent pas et qu’il faut davantage de bienfaiteurs pour encourager la créativité au Luxembourg.

Le meilleur reste peut-être à venir pour la scène artistique luxembourgeoise. Néanmoins, les collections d’entreprise offrent une plateforme aux artistes et apportent une valeur artistique aux collaborateurs. Et même si le monde de l’entreprise ne comblera pas à lui seul les lacunes de l’écosystème créatif, il peut servir d’exemple pour réunir le meilleur des deux mondes pour l’instant.


Cet article est paru dans la seconde édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!

Teodor Georgiev
Teodor Georgiev
Passionné de journalisme depuis son plus jeune âge, Teodor Georgiev s'est spécialisé dans le développement durable et la culture des expatriés après avoir fait ses premiers pas dans le monde des médias luxembourgeois. Ses articles offrent au lecteur une compréhension approfondie du sujet. Soucieux d'établir des liens durables avec des personnes de tous horizons, Teodor met souvent en lumière des histoires moins connues sur des personnes et des projets entrepreneuriaux.

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