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« Une nouvelle dynamique collaborative au Luxembourg »

Harry Ghillemyn, fondateur de Woud et actif dans l'écosystème blockchain au Luxembourg, voit le Web3 comme une culture décentralisée favorisant la durabilité, illustrée par des projets divers et une communauté collaborative croissante.

Fondateur de Woud, Harry Ghillemyn est actif dans l’écosystème blockchain au Luxembourg. L’avocat belge voit le Web3 comme une véritable culture, avec de nombreux projets à l’intersection de la technologie décentralisée et de la durabilité.

Harry Ghillemyn, pouvez-vous décrire le parcours qui vous a conduit au Luxembourg et à vous impliquer dans le Web3 ?

Mon arrivée ici tient plus au hasard qu’à un choix. Après des études à l’Université Catholique de Louvain, j’ai commencé ma carrière chez Linklaters en private equity, où j’ai contribué à plusieurs restructurations bancaires lors de la crise de 2008, comme Svenska Handelsbanken, Bank of New York Mellon ou Kaupthing. J’ai beaucoup appris avant de rejoindre le managing partner Patrick Geortay dans l’équipe bancaire et marchés de capitaux. Après un passage à Londres, Goodwin m’a demandé d’établir son département bancaire et marchés de capitaux au Luxembourg. Et en janvier 2023, j’ai fondé ici mon propre cabinet d’avocats, Woud. Nous sommes déjà une équipe de quatre. Comme dans une forêt (Woud en flamand), mon ambition était de créer un écosystème sans hiérarchie où tout le monde travaille ensemble, et où le plus grand arbre n’est pas plus important qu’une fourmi, où nous restons discrets sur nos réussites. Cet esprit correspond très bien à la communauté Web3.

« La philosophie des Lumières a établi la liberté et l’égalité, qui ne sont plus que des illusions aujourd’hui sur l’Internet. »

Quelle est votre définition du Web3 ?

D’un point de vue technique, le Web3 reste un concept flou. Disons qu’il s’agit d’une nouvelle configuration de l’Internet où chacun reste maître de ses données. Ce contrôle est rendu possible par des infrastructures décentralisées auxquelles sont souvent associées un système de rétribution adossé à un token. Mais le Web3, en tant que culture, est beaucoup plus large que ça, avec des organisations dépourvues de décisions centralisées et de hiérarchie. La philosophie des Lumières a établi la liberté et l’égalité, qui ne sont plus que des illusions aujourd’hui sur l’Internet. Les géants du numérique détiennent et retraitent nos données et l’accès à l’information ou la finance n’est pas égale. A partir de cette technologie décentralisée, le Web 3 replace l’humain au centre. Ce mouvement est là pour rester.

Quelle forme concrète prend cet écosystème et cette culture décentralisée au Luxembourg ?

La Luxembourg House of Web3 est l’illustration parfaite d’une nouvelle dynamique collaborative au Luxembourg. Cette communauté, dont je suis co-fondateur, est celle qui a grandi le plus vite dans le pays sur les réseaux sociaux en 2023. Avec l’entrepreneur Eric Falk, j’ai aussi constitué la société Filedgr, active dans les innovations Web3. Un grand nombre de projets sur lesquels nous travaillons chez Woud, nous est parvenu grâce à la Luxembourg House of Web3. Nous y apportons notre expérience du monde ‘mature’ afin de créer une passerelle entre les deux univers. Nous avons aussi décidé de collaborer avec toutes les autres associations du Luxembourg, comme le Hibou Orange ou Offchain. Chacun va garder sa propre gouvernance mais nous allons agir ensemble et de manière ouverte.

Quels types de projets emblématiques du Web3 voyez-vous émerger au Luxembourg ?

Ce pays est très hétéroclite et de nombreux projets de tokenisatisation y voient le jour, par exemple à l’initiative de Tokeny. Realiz est en aussi en train de mettre en place une structure de levée de fonds et de tokenisation d’actifs réels. De même, Aurel & Axel, la première ferme urbaine créée par trois Français de Thionville, s’inscrit dans cette mouvance avec une blockchain qui permet aux consommateurs de tracer l’origine des fruits et des légumes qu’ils achètent. La plupart de ces projets font converger Web3 et durabilité. A ce propos, je peux aussi citer Kairos qui aide à valoriser et monétiser le véritable impact social des individus, par exemple un pompier, une infirmière ou un agriculteur. Kairos collabore d’ailleurs avec Aurel & Axel. Enfin, Sherif Hamouda et GV Developments, le plus grand promoteur immobilier égyptien envisage la création d’une banque dépositaire de crédits carbone au Luxembourg, en utilisant la blockchain, notamment pour éviter le risque de double utilisation.

Voyez-vous des applications de la blockchain en lien avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA) et les besoins de vérification qui y sont associés ?

Nous allons bientôt lancer la Luxembourg House of IA. La blockchain a des solutions d’authentification à apporter et pour améliorer l’expérience d’Internet, en sortant de la logique algorithmique des moteurs de recherche.

Les acteurs luxembourgeois de la finance traditionnelle participent-ils à ce mouvement ?

Ces projets peuvent s’appuyer sur une infrastructure financière très reconnue. La Bourse de Luxembourg, numéro un mondial pour la cotation d’instruments de dette et les obligations vertes, a lancé un segment dédié aux security tokens (titres jetonisés).

Qu’observez-vous sur le marché des crypto-actifs proprement dits ?

Plus de 15 prestataires de services d’actifs virtuels (PSAV), comme Bitstamp ou Coinhouse, sont déjà enregistrés auprès de la CSSF, ce qui est significatif au regard de la taille du pays. Je signale aussi l’arrivée de Stokr, une plateforme d’échange de security tokens.

« Le Luxembourg est sans doute à l’épicentre de la tokenisation grâce à trois lois successives sur la blockchain. »

Le Luxembourg a-t-il été à l’avant-garde de la réglementation de la blockchain, comme il le fut dans les années 1980 en transposant très tôt les directives européennes sur les fonds d’investissement ?

Dans ce domaine, la CSSF a été assez prudente. Le pays n’est pas forcément plus flexible que d’autres mais garde malgré tout ces avantages dans la structuration des fonds et les levées de fonds. Tant que le règlement européen MiCA (Markets in crypto-assets) n’est pas entré en application, je ne m’attends pas à un foisonnement de projets. Néanmoins, le Luxembourg est sans doute à l’épicentre de la tokenisation grâce à trois lois successives sur la blockchain.

Malgré l’enthousiasme qui entoure la blockchain et la tokenisation, les projets sont tout de même moins nombreux qu’escompté. Le Régime Pilote européen n’a pas suscité énormément de vocations. Comment l’expliquez-vous ?

Il existe deux arguments courants en faveur de la tokenisation des titres financiers ou des actifs réels. D’abord les gains en termes d’efficacité et de coûts permis par la désintermédiation. Mais dans un monde réglementé, la désintermédiation ne disparaît jamais complètement. Ensuite, la faculté d’acheter la fraction d’un actif. Mais n’existe-elle pas aussi dans la finance traditionnelle en souscrivant à une part de fonds d’investissement? En fait, le véritable atout de la blockchain réside dans la possibilité d’assortir son token de caractéristiques, via des smart contracts notamment. Il faut rendre l’instrument financier ou l’investissement vivant avec des éléments de gamification et des communautés. Par ailleurs, l’adoption à grande échelle de la tokenisation va permettre aux infrastructures d’atteindre une taille critique et de réaliser des économies d’échelle.


Cet article est paru dans la seconde édition du magazine Forbes Luxembourg. Vous souhaitez en recevoir un exemplaire? C’est par ici!

Nicolas Raulot
Nicolas Raulothttps://finascope.fr/
Nicolas Raulot est journaliste et fondateur du média financier Finascope.fr. Il compte 20 ans d’expérience de la presse. Ses articles ont été publiés dans des médias français (La Tribune, L’Agefi), belge (L’Echo), luxembourgeois (Paperjam) et suisse (Le Temps). Son parcours journalistique a commencé en France en 2000 à l’Agefi avant d’être poursuivi à La Tribune jusqu’en 2008. Il a ensuite exercé son métier au Luxembourg où il est devenu rédacteur en chef de Paperjam.lu. Nicolas Raulot a aussi travaillé dans le secteur financier comme courtier sur le marché monétaire et comme responsable éditorial et relations presse. Il est diplômé de l’Institut Supérieur de Gestion (ISG), du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ) et de l’Université de Luxembourg (Master in Wealth Management). Nicolas Raulot est l’auteur de On a vendu la Bourse (Editions Economica, 2007).

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